Décryptage d’Humanae vitae avec le Père Antoine de Roeck 2/3

Humanae Vitae, une encyclique mal reçue ? 

Deux aspects vont être généralement mal reçus. Le premier est l’insistance sur le lien entre les deux fins de l’acte conjugal : la finalité de procréation et finalité de témoignage réciproque de charité. On lie ainsi à l’amour des époux une ouverture à la vie qui, quand elle est mal comprise, peut sembler une sorte de fatalité. Ceci peut d’ailleurs être vrai dans deux sens :
– quand les époux s’aiment, inévitablement il y a des enfants et il y a un moment où ce n’est plus gérable s’ils n’ont en a pas la vocation ou s’ils n’ont pas la capacité de les accueillir.
– ou quand on asservit l’acte conjugal au fait d’avoir des enfants : les époux ne sont alors plus dans une dimension d’amour réciproque. Par exemple, les foyers confrontés à l’hypo-fécondité peuvent se retrouver dans cette situation-là et cela peut blesser la vérité de leur amour.

Le deuxième aspect concerne l’illicéité d’avoir recours à l’avortement ou à des techniques de contraception chimiques ou mécaniques. Le fait de déclarer « illicite » est relativement mal passé car on l’entend comme une condamnation. Or la pédagogie de l’Eglise est toujours dans l’accompagnement des personnes ; en la matière, il faut faire preuve de beaucoup de miséricorde, et de beaucoup d’humilité face à ce que peuvent vivre ces foyers. En ce sens, l’encyclique, pourtant très laconique (30 paragraphes), est exemplaire d’attention envers les personnes, les situations, et pleine de miséricorde.

Le couple pourrait recourir aux périodes infécondes dans une logique contraceptive finalement …. Où se situe la différence essentielle entre méthodes artificielles et méthodes naturelles ?

Les techniques artificielles de contraception ne sont pas recommandées par l’Eglise entre autres parce qu’elles séparent les deux fins de l’acte conjugal. C’est le cas pour la contraception mécanique : le préservatif met un obstacle au don total des époux et le stérilet est un abortif puisqu’il empêche la nidation de l’embryon qui finit par mourir. Les techniques chimiques ne respectent plus quant à elles le cycle féminin. Ce peut être encore des techniques chimiques masculines qui sont une forme de mutilation de l’homme… Et donc il y a cette intégrité de la personne et de l’acte d’amour qui est faussée.

De ce fait, l’Eglise recommande des méthodes naturelles de régulation des naissances qui exigent d’observer des périodes de continence s’il n’est pas opportun de s’ouvrir à la vie. Ces méthodes naturelles peuvent être aussi utilisées comme des méthodes de contraception naturelle, c’est-à-dire d’empêchement de la vie. C’est là qu’il y a un problème de l’ordre de la posture spirituelle et philosophique de la personne. Effectivement, la méthode est naturelle – il y a un label « bio » ! – mais ce n’est pas non plus forcément bon. Même si la technique semble bonne, la manière avec laquelle on l’applique n’est pas bonne. Et c’est ce qui est exigeant dans la vie chrétienne. Chacun est renvoyé à sa conscience, à la vérité de ce qu’il est et à sa relation avec Dieu pour chercher le bien et la vérité en toute chose.

L’emploi des méthodes naturelles de régulation des naissances suppose une formation des consciences, une éducation morale (maîtrise de soi, chasteté), au risque de rester sur la « technique » désincarnée de la vertu. N’est-ce pas l’enjeu de la préparation au mariage et de l’accompagnement des couples ?

Effectivement les méthodes de régulation naturelle des naissances sont d’abord un service pour les personnes et le couple lui-même dans sa croissance spirituelle. Elles exigent d’une part la connaissance de soi-même et notamment pour l’épouse la connaissance du cycle féminin. Elles exigent aussi une implication de l’époux dans cette connaissance de l’épouse. L’homme n’est pas extérieur à la fécondité ou aux périodes de non fécondité de son épouse, il y prend part aussi. Il y a une décision qui est commune sur l’opportunité ou non de s’unir et il y a aussi une invitation périodique à la continence, qui est une forme de témoignage d’amour très important.
On est dans une époque où les fiançailles sont en très grande majorité bâclées parce que les fiancés adoptent

bien souvent avant le mariage un mode de vie commune qui inclut l’union sexuelle. Du coup, ils n’ont pas cette expérience de la continence, c’est-à-dire du renoncement pour quelque chose de plus grand, qui est un apprentissage du don de soi.

Cette aspiration à « quelque chose de plus grand » n’est pas liée à un contexte mais elle touche la nature profonde de l’amour conjugal. A quoi les couples sont-ils appelés ?

En effet, cela dépasse largement les aspects contextuels ou scientifiques que nous avons abordés au début. Il s’agit vraiment d’une attitude fondamentale qui aide aussi à se mettre dans l’attitude de la relation personnelle avec Dieu ; relation faite de don, et de réception. Le Christ s’est donné complètement sur la croix, Il a renoncé à sa propre vie pour nous sauver. Ces aspects sont complètement présents dans notre foi chrétienne. C’est un des aspects « prophétiques » au sens propre du terme de l’encyclique : elle apprend à entrer dans une dimension intègre et chrétienne du don de soi. C’est l’authentique expérience de la liberté, du don de soi, et d’une chasteté vécue comme une vertu et non une contrainte.

Un autre aspect « prophétique » concerne la valorisation de la femme dans sa féminité, sans chercher à faire du féminisme. Dans le féminisme tel qu’on l’entend actuellement, on masculinise la femme : on cherche à la rendre  égale à l’homme au lieu de lui donner toute sa dimension féminine (cf : « Recevoir le féminin », de Gabrielle Vialla, ed.CBF, mai 2018 ). En réalité, dans la pratique contraceptive, la femme, qui fonctionne en principe de manière cyclique, renonce à ce cycle dans la mesure où elle est toujours en capacité de se donner sans avoir cette ouverture à la vie. Donc l’homme aussi a une relation vis-à-vis de la femme qui ne prend plus en compte ce respect du cycle. Ce cycle n’est plus manifesté quand il y a contraception chimique.
L’enjeu est aussi que l’homme prenne sa place aussi en tant qu’homme. C’est probablement un des gros défis des année à venir.

Quel sens donner à la liberté de l‘homme, capable de procréer, en lien avec l’intention créatrice de Dieu ?

Notre liberté n’est pas notre capacité de tout faire, elle est en vue du bien. Le Seigneur nous l’a donnée mais on dépend aussi de Dieu. La seule volonté de donner la vie ne suffit pas à donner la vie. Ça ne dépend pas que de notre physiologie. Dès le début de la Bible, à la Création, nous sommes collaborateurs de Dieu ; Dieu crée les animaux et les amène à l’homme pour qu’il leur donne un nom. Nous sommes co-créateurs mais le seul capable d’être source de toute vie, c’est Dieu « qui ne cesse de créer tous ces biens » (Cf Prière eucharistique I), qui nous maintient dans l’être.

Dans l’« appel final » , au n°31, nous lisons : « L’homme ne peut trouver le vrai bonheur (…) que dans le respect des lois inscrites par Dieu dans sa nature et qu’il doit observer avec intelligence et amour ». Il est question de la vraie nature de la personne humaine ?

En effet, car à la différence de la majeure partie de la création, nous avons une âme spirituelle et cette liberté, qui fait que nous avons la possibilité de maîtriser cette collaboration avec Dieu. On est capable de faire rentrer ça dans la dimension spirituelle du don. Ça rentre dans une perspective généreuse, de charité. Logiquement, l’union des personnes humaines les fait avancer dans la communion avec Dieu, qui est le but même de toute vie.
Il est important de bien comprendre que la loi naturelle n’est pas le naturalisme comme les philosophes des lumières ont voulu le développer : ils pensaient que la loi naturelle était l’application des lois de la nature au genre humain. On peut tout justifier à partir de là !
La loi naturelle, c’est notre nature spécifiquement humaine, inscrite dans le coeur de l’homme, et qui se révèle afin que, à travers nos actes et nos pensées, nous puissions faire croître cette personne humaine que nous sommes jusqu’à son plein épanouissement qui n’a qu’un seul but, celui de la sainteté c’est-à-dire de la résurrection glorieuse où nous vivrons en Dieu à la fin des temps. Notre corps glorieux sera uni à notre âme dans la gloire de Dieu.

Dans le manque de réception d’Humanae Vitae, il est fort probable qu’un principe de réalisme – qui pourrait se comprendre – se soit détaché d’une perception de la vraie espérance chrétienne : à savoir le désir du ciel. Pourtant Casti connubii avait énormément développé ce point : le don de la vie vise à donner à Dieu « de nouveaux citoyens pour la patrie céleste ». Le langage est très « années 1930 » mais il exprime bien cette espérance que nous avons et que l’on oublie peut-être un peu dans notre acte de foi chrétienne : la visée surnaturelle, la finalité de la personne humaine faite pour l’amour de Dieu.

Dans la foulée d’Humanae Vitae, on va développer ces aspects : les origines de l’homme, afin de bien comprendre le plan de Dieu à l’origine, et la rédemption. Parce que si cela reste « terre à terre », c’est – il est vrai – bien plus compliqué à recevoir…

Cas par cas subjectif vs morale normative… Quelles pistes pastorales sont données par l’encyclique ?

Notre premier devoir est d’éclairer les consciences. D’autre part, nous savons qu’il y a des actes qui sont intrinsèquement mauvais et nous ne pouvons pas abandonner les âmes face au danger de tels actes. L’éclairage est spirituel. L’annonce de l’Evangile demande de l’audace, parfois elle n’est pas reçue mais elle ne peut être édulcorée sous prétexte de « bien passer ».

C’est tout l’enjeu de l’accompagnement pastoral. Il ne faut pas oublier : loi de gradualité et gradualité de la loi. La loi n’est pas d’abord une loi normative ; c’est une loi d’amour : comment vais-je pouvoir authentiquement répondre à l’amour de Dieu ? Et les critères (cf Veritatis Splendor) de sincérité, d’authenticité, de cohérence avec soi-même ne sont pas systématiquement la vérité. Ce que l’on doit chercher, c’est le vrai, c’est le Christ ! « Je suis le chemin la vérité, la vie ».
Notre rôle comme pasteurs n’est pas de rabaisser les choses mais c’est d’avoir le génie pastoral et la profondeur spirituelle pour montrer à nos contemporains la beauté de cette vérité que l’on cherche à leur annoncer.

Ce qui émerge n’est pas seulement la question du nombre d’enfants et de la condition de la famille en général mais il s’agit aussi de la vérité de la relation conjugale.

Décrytage par le Père Antoine de Roeck 3/3 : Les pistes pastorales et la question de la diffusion de la bonne nouvelle d’Humanae vitae

Décryptage par le Père Antoine de Roeck 1/3 : Dans quel contexte est publiée l’encyclique ? Comment at-elle été préparée ? Le courage de Paul VI…

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