Assemblée plénière des évêques : « Les victimes ont été nos boussoles pendant l’assemblée »

Du 2 au 8 novembre, les évêques de France, réunis en assemblée plénière à Lourdes, ont travaillé à partir du rapport de la CIASE sur les abus sexuels dans l’Église et ont voté plusieurs résolutions. Décryptage de Monseigneur Centène à son retour de Lourdes.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué lors de cette assemblée plénière des évêques ?
L’assemblée des évêques était articulée autour de deux volets. Il y a eu d’abord, comme c’est le cas depuis deux ans déjà à l’exception de la période de confinement, une rencontre autour de l’écologie à partir de l’encyclique Laudato Si sur le thème Clameur de la terre, clameur des pauvres. Nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants de plusieurs mouvements caritatifs.

Des personnes en précarité sont venues travailler avec nous sur cette thématique. Mais bien évidemment, le dossier le plus lourd de ce rassemblement était la réception du rapport de la commission Sauvé et, avec la réception de ce rapport, les engagements que nous avons pris. L’assemblée dégageait, au début, une sensation de tension assez forte, palpable, qui s’expliquait par la pression exercée sur les évêques. Nous étions en effet soumis à une triple pression : pression médiatique, pression des associations de victimes qui se manifestaient, pression aussi de la part de certains chrétiens qui confondent peut-être rapport Sauvé et synodalité et ont tendance à mélanger les deux pour faire avancer leurs propres idées dans la vie de l’Église et son organisation.

©CEF2021

Il y avait aussi une certaine tension entre les évêques. Tout le monde n’était pas forcément d’accord sur les mesures à prendre ou, d’une façon plus générale, sur les conclusions tirées par le rapport Sauvé, notamment en matière de chiffres. Les chiffres annoncés sont certainement contestables et peuvent être qualifiés de « virtuels » : ils viennent, en effet, de la projection d’un sondage et pas de l’étude précise des dossiers d’archives.

Mais nous avons décidé de ne pas nous arrêter là, de ne pas nous laisser diviser ou opposer et surtout d’écouter les victimes, de nous mettre vraiment, avec un coeur ouvert, à l’écoute des personnes abusées, c’est-à-dire de gens dont la vie a été gravement endommagée, voire détruite, par les abus terribles qu’ils ont pu subir de la part de prêtres, de religieux ou de laïcs en mission dans l’Église.

Nous avons voulu montrer notre détermination à réparer pour le passé et à nous engager pour l’avenir. Il y a une certaine responsabilité à l’égard du passé, mais il y a surtout une responsabilité à l’égard du futur : il faut que ce qui s’est passé ne puisse se reproduire en aucune manière. L’Église doit être véritablement une maison sûre, il n’en a pas toujours été ainsi. L’écoute a été le maître mot de cette assemblée plénière.

Pourquoi était-ce si important ?
Nous nous sommes mis à l’écoute du Saint-Esprit, à l’écoute de nos frères évêques – ce qui a donné la possibilité à chacun d’exprimer son opinion – et surtout à l’écoute des victimes : elles ont vraiment été notre boussole pendant cette assemblée.

Nous n’avons pas cherché à comprendre ou à envisager ce que nous risquions de perdre, nous n’avons voulu raisonner qu’en fonction des victimes. À Lourdes, les évêques ont reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église et le caractère systémique des abus.

Comment cela constitue-t-il, d’après vous, un basculement ?
Jusqu’à présent, dans ces situations d’abus, nous n’avons considéré que la responsabilité des auteurs des faits. Pour qu’un fait délictueux puisse se produire, il faut que quelqu’un le commette. Il faut donc rechercher la culpabilité de l’auteur de ces faits. Le rapport Sauvé nous a permis de comprendre qu’au-delà de cette responsabilité personnelle, il y avait aussi, d’une certaine manière, une responsabilité institutionnelle.

L’institution n’a pas su empêcher de tels actes parce que certaines de ses attitudes ont pu parfois les favoriser et peut-être surtout parce qu’elle n’a pas su réagir avec suffisamment de fermeté, de détermination, à ces actes. Si l’institution n’a pas toujours bien réagi pour protéger ou pour dénoncer, c’est parce qu’elle est engluée dans d’autres réalités. Et c’est ici que le caractère systémique des abus intervient. Parler de caractère systémique ne veut pas dire que les agressions soient systématiques. Systémique n’est pas synonyme de systématique : systémique signifie qu’un ensemble d’éléments s’imbriquant les uns dans les autres conforte une situation qui n’est pas ajustée.

Un élément, par exemple, a été l’influence de la société qui, comme conservatrice de l’ordre, préférait parfois une injustice à un scandale. Des faits trop scandaleux pouvaient être tus pour maintenir un semblant d’ordre et de paix, parfois même au nom d’un bien commun mal compris, mal entendu. Dans ce contexte, l’institution a caché, ou du moins n’a pas dénoncé, des situations douloureuses, terribles et scandaleuses.

Des traces de ce caractère systémique apparaissent aussi dans une conception abusive de l’autorité basée sur la prédominance de l’adulte sur l’enfant et sur le fait que la voix d’un enfant accusant un adulte n’était pas audible. Ce sont donc des situations d’importances diverses et d’inspirations différentes qui, en s’appuyant les unes sur les autres, ont pu créer un système très lourd dans lequel des victimes peuvent être écrasées.

Une des résolutions des évêques prise au cours de l’assemblée invite à un temps de repentance dans chaque diocèse le troisième dimanche de Carême.

©CEF – assemblée plénière Lourdes novembre 2021 – veillée de prière

Le temps du Carême donnera-t-il un sens supplémentaire
à cette journée ?

Le Carême est un temps de conversion et je crois que ce qui doit surtout nous interpeller dans ce rapport, c’est la nécessité de se convertir, de mettre le Seigneur au centre de notre vie. Plusieurs aspects du rapport Sauvé peuvent certainement être critiqués, certains ont été écrits avec un parti-pris ou avec le prisme idéologique des chercheurs qui ont travaillé le sujet. Mais ce rapport doit néanmoins être pour chacun de nous un appel à la conversion.

Je vais prendre un exemple : le rapport Sauvé pointe, parmi les éléments qui constituent le caractère systémique des abus dans l’Eglise, le fait que le prêtre soit appelé « alter Christus ». On dit en effet du prêtre, dans la théologie catholique, qu’il est « un autre Christ ». Certains ont pu abuser de cette expression pour faire croire que le prêtre avait les pouvoirs mêmes du Christ. Ils ont dévoyé une idée théologique du concile de Trente sur le sacerdoce, qui dit profondément ce que nous croyons du prêtre.

Mais être un autre Christ ne veut pas dire pouvoir agir à sa guise, se mettre à la place de Dieu pour faire ce que l’on veut et imposer sa volonté ! Être un autre Christ signifie, pour le prêtre, conformer sa vie au Christ et agir comme lui. Loin d’avoir les pleins pouvoirs, le prêtre « alter Christus » doit vivre comme le Christ qui s’est abaissé jusqu’à la mort, qui a pris la condition de serviteur, est venu, non pas pour être servi mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour la multitude. C’est là que se situe véritablement le point de la conversion à laquelle chacun de nous, prêtre et
membre de l’Église, est appelé.

L’indemnisation des victimes est une résolution forte prise à Lourdes. En quoi est-elle nécessaire ?
Je voudrais d’abord préciser qu’une indemnisation n’est évidemment pas une réparation. Nous avons rencontré des victimes, nous les avons écoutées pendant l’assemblée plénière et nous les recevons aussi personnellement dans chaque diocèse. Quand elles racontent ce qui s’est passé, qu’elles confient leurs souffrances, on comprend que la réparation n’est pas une question d’argent : il est impuissant à restaurer leurs vies dévastées.

L’indemnisation n’est donc pas une réparation mais plutôt une reconnaissance des victimes. Être reconnu comme victime suppose, non pas un dédommagement parce que rien ne se dédommage, mais un geste concret qui montre la volonté de réparer le mal commis. Il est malheureusement évident qu’on ne rendra pas aux victimes ce qui, de leur vie, a été perdu, abimé, retardé ou détruit. Mais il est important de montrer que la volonté de l’Église est d’être à côté d’elles et, dans la mesure du possible, de les aider, d’apporter notre concours à cette réparation.

Comment le diocèse de Vannes va-t-il s’impliquer dans le financement
des indemnisations ?

Tout cela reste à étudier car le patrimoine des diocèses est un patrimoine
associatif. L’organisation de l’Église en France est en effet associative depuis la séparation de l’Église et de l’État et des lois qui ont ensuite organisé son existence.

Chaque diocèse, pour ce qui est de son patrimoine, est constitué en association diocésaine. Le patrimoine des diocèses est donc, en droit civil, le patrimoine des associations des diocèses. Il ne peut être utilisé que pour l’objet social de l’association diocésaine, c’est-à-dire pour l’exercice du culte catholique, à travers son organisation matérielle et l’entretien de ses ministres. Donc, de ce côté, la voie peut paraître un peu fermée.

©CEF – assemblée plénière Lourdes novembre 2021 – laudes

Par conséquent, pour que les diocèses puissent participer directement à l’indemnisation des victimes, l’assemblée des évêques a déposé une demande aux pouvoir publics. Nous en attendons la réponse. D’autre part, le fond qui a été créé pour procéder au dédommagement des victimes poursuit aussi d’autres objectifs comme, par exemple, la formation des futurs prêtres. Il est de notre devoir de les former, de telle sorte qu’ils ne soient pas amenés à commettre les actes qu’on a pu reprocher à tel ou tel de leurs aînés et qui peuvent malheureusement se reproduire aujourd’hui car la nature humaine est ce qu’elle est. L’argent des diocèses, le patrimoine des diocèses, peut servir à former les futurs prêtres avec cet objectif.

La collaboration avec les laïcs va continuer à s’accentuer au sein
de la conférence des évêques de France. En est-il de même dans les
diocèses ?

Oui, des résolutions ont été prises dans ce sens pour les diocèses. Les nominations de prêtres dans telle paroisse ou fonction, sont par exemple chaque année effectuées par l’équipe épiscopale, c’est à dire l’évêque et les vicaires généraux. Il a été décidé d’y associer, dès 2022, des laïcs parmi lesquels au moins une femme. Cette collaboration va permettre de croiser les regards, d’enrichir la réflexion de points de vue différents.

Le synode, lancé quelques jours après la réception du rapport de la CIASE, va-t-il amener les évêques à changer leur mode de gouvernance ?
Je crois que confondre le synode et le rapport de la commission Sauvé serait une erreur. La commission Sauvé a mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements, mais il ne faut pas que ces dysfonctionnements constatés viennent orienter ou déformer l’intention synodale.

Entrer dans la démarche du synode, c’est faire un chemin ensemble, ça n’est pas remplacer un pouvoir par un autre pouvoir, remplacer un mode de gouvernance essentiellement clérical par un mode de gouvernance essentiellement laïc. Mais c’est apprendre à travailler en collaboration, en synergie, selon les divers états de vie présents dans l’Église et que le Seigneur nous a assignés par vocation. 

Propos recueillis par
Émilie Denizet et Solange Gouraud

Article Chrétiens en Morbihan n°1515