Homélie de Monseigneur Centène : que le Sauveur nous sauve

« Mes amis, c’est la première fois que je célèbre la messe dans cette cathédrale vide, et pourtant vous êtes beaucoup à m’entendre ce matin. C’est une expérience, c’est une sensation tout à fait étonnante, ces rangées de chaises vides sur lesquelles je vous imagine. Nous avions espéré qu’au moins une chaise sur deux serait occupée. Nous avions pris des dispositions dans ce sens, mais la décision est tombée hier soir.

Homélie prononcée par Monseigneur Centène dimanche 15 mars 2020 à la cathédrale Saint Pierre de Vannes – messe privée retransmise en direct vidéo sur YouTube ICI et sur Facebook ICI

Oui, frères et sœurs, pour la première fois de leur histoire, les catholiques de France, d’Italie, d’Espagne et de beaucoup d’autres pays sans doute, sont privés de messe dominicale. L’évènement est suffisamment inhabituel pour que nous nous laissions interroger par lui, comme les Hébreux dont nous parlait la première lecture. Soudain privés d’eau, ils en ressentent la nécessité jusqu’à se révolter contre Moïse, et à travers lui, contre Dieu.

Mais, avaient-ils pensé à rendre grâce à Dieu quand ils pouvaient boire jusqu’à plus soif ? Dans quel état d’esprit participions-nous à la messe ? Etions-nous conscients de ce qu’elle est pour nous, de ce qu’elle est pour Dieu, quand nous pouvions choisir l’heure qui convenait le mieux à notre petit confort et à nos petits égoïsmes ? Le rite dans lequel nous avions décidé de l’entendre ? Le style dans lequel nous la voulions ? Les gens avec qui nous la partagerions, et jusqu’au prêtre qui devait la célébrer ? La semaine dernière encore, sûr de son droit et de son dû, quelqu’un m’écrivait : « quand nous avons vu que c’était le père untel qui allait célébrer la messe, ma femme et moi nous sommes sortis de l’église ». Comme tout cela devrait nous paraître dérisoire aujourd’hui !

Un souvenir d’enfance me vient soudain à l’esprit. Lorsque j’étais enfant au cours élémentaire de deuxième année, sur notre livre de lecture, comme on disait alors, il y avait un texte qui s’appelait « la dernière place ». C’était le récit du dernier cours de français, donné dans un petit village d’Alsace récemment occupé par les troupes allemandes. Et les enfants, en voyant leur instituteur pour la dernière fois, étaient honteux d’avoir été aussi peu attentifs, d’avoir été aussi discrets, d’avoir tiré si peu profit de ce qui leur avait été enseigné, de n’avoir pas suffisamment travaillé pour apprendre notre belle langue française.

Frères et soeurs, nous aussi, comme nous devrions avoir honte aujourd’hui ! Comme nous devrions nous repentir de l’instrumentalisation que nous avons faite du don de Dieu, du Sacrifice que Jésus renouvelle tous les jours sur l’autel pour notre Salut ! D’autres, depuis plusieurs décennies déjà, avaient déserté la messe : « je suis catholique mais je ne pratique pas », « A la messe je m’ennuie, ce n’est pas assez vivant », « Ces jeunes prêtres, quel retour en arrière », « je ne pratique pas ». Aujourd’hui ou dans quelques jours, face à l’ampleur de la crise sanitaire que nous traversons, quand ils entendront le cri qui monte de l’Egypte depuis le cachot du prisonnier jusqu’au trône du pharaon, beaucoup, j’en suis sûr, voudront chercher un appui dans les pratiques qu’ils avaient abandonnées, délaissées, méprisées.

Deux phrases de Jésus, dans l’évangile de saint Luc, me viennent à l’esprit : « combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes, mais vous n’avez pas voulu ». Ou encore : « tu n’as pas connu le temps où tu as été visité. » Ou encore dans l’évangile de saint Jean au chapitre 7 : « vous me chercherez et vous ne me trouverez pas. »

Nous voyons, frères et sœurs, à quel point la liturgie de ce troisième dimanche de Carême nous rejoint dans ce que nous vivons aujourd’hui, et nous ramène à l’essentiel, et nous appelle à la conversion : l’eau nous manque, notre vie est une traversée du désert. Les plaisirs faciles de la société consumériste dans laquelle nous avons vécu, nous l’avaient fait oublier. Quand tout va mal, il peut nous arriver de nous révolter contre Moïse et, à travers lui, contre Dieu. Mais cette révolte est déjà une prière que Dieu écoute. Il nous fait comprendre que, jamais Il n’a cessé de nous aimer. Ce temps de Carême si particulier nous est donné pour puiser à la source de l’amour qui est en Lui, et qui est en nous. Le rocher que Moïse frappe de son baton, n’est-ce pas notre coeur endurci, et pourtant capable de laisser couler des sources d’eau vive ?

Dans la deuxième lecture, Saint Paul insiste sur la force de cet amour indéfectible de Dieu : nous pourrons toujours compter sur lui, même dans les pires moments de notre vie. Cette certitude ne s’appuie pas sur des mots, mais sur les gestes de Dieu à notre égard, tout au long de notre histoire, aussi bien personnelle que collective : Dieu nous donne l’espérance d’avoir part à sa gloire. Et l’Espérance ne déçoit pas puisque l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.

Frères et sœurs, nous sommes appelés à la conversion pendant ce Carême. « Aujourd’hui ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur ». La conversion, c’est de reconnaître notre péché à la lumière de l’amour de Dieu. Pas en se mésestimant, pas en s’auto-flagellant, mais en prenant conscience que Dieu nous aime, et qu’Il veut notre Salut éternel, même s’Il est obligé, aujourd’hui, de prendre les grands moyens pour nous le rappeler. La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs.

Aujourd’hui, frères et sœurs, comme à la samaritaine, Jésus nous dit que Dieu n’est enfermé ni sur cette montagne, ni dans le temple de Jérusalem, mais qu’il nous faut l’adorer en esprit et en vérité. Que nos cœurs de pierre, frappés aujourd’hui par le baton de Moïse, laissent jaillir l’eau vive de la présence divine. Celui qui boira de cette eau plus jamais n’aura soif. Alors mes amis, comme la samaritaine, nous pourrons aller annoncer la bonne nouvelle aux autres, les mettre en contact avec ce Jésus que nous aurons redécouvert dans nos coeurs, et qu’ils découvriront dans le leur. Et ils pourront nous dire : « ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons, nous-même nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment Lui le sauveur du monde. »

Frères et sœurs, en ce temps d’épreuve, que le Sauveur du monde nous sauve. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, AMEN. »