Journées paysannes bretonnes : quel avenir pour l’agriculture ?

Réunis à Sainte-Anne-d’Auray le 13 octobre dernier, des agriculteurs de Bretagne, du Poitou, du Centre et d’ailleurs ont participé aux Journées paysannes régionales, organisées cette année avec le service de diaconie du Morbihan. Venus en pèlerinage prier pour les agriculteurs décédés, et leurs familles, ils ont réfléchi, tout au long de la journée, sur leur place et leur mission dans un monde en mutation, à la lumière de la foi.

C’est sur le thème « Familles paysannes, terreau d’espérance » que la journée a démarré. Le père Frédéric Fagot, metteur en scène du son et lumière sur les apparitions de sainte Anne, a présenté la vie et la famille d’Yvon Nicolazic, « un intercesseur pour les agriculteurs d’aujourd’hui », souligne Marc Jouan, responsable de la diaconie du Morbihan. « Il est l’un de ces nombreux saints paysans qui, en évangélisant, ont favorisé l’enracinement de la foi et permis à de belles plantes de pousser. »

L’intercession pour les agriculteurs s’est prolongée par une procession dans le parc du sanctuaire, jusqu’aux statues de sainte Anne et Yvon Nicolazic. Les offrandes de la messe, fruits de la terre, ont été déposées devant la patronne des Bretons. Une croix, recouverte d’épis de blé, représentait  « ceux qui, au nom de la passion et de l’amour qu’ils ont donné au travail de la terre, ont laissé leur vie bien trop tôt. Ils ont mis fin à leurs jours par le suicide ; leur souffrance était trop forte ».

Retrouvez l’intégralité de l’article dans le CeM n°1495 du 1er novembre 2019


Des agriculteurs témoignent

Propos recueillis par Solange Gouraud

Jacques Jaffredo, maraîcher dans le Morbihan, a été le premier à lever le voile sur les suicides d’agriculteurs, encore totalement occultés il y a quatre ans.

« On ne s’intéresse pas aux femmes d’agriculteurs suicidés ! Certaines se retrouvent dans la misère. En cinq ans, au moins 3 000 agriculteurs ont mis fin à leur vie. Est-ce que l’État se déplace ? Vient-il écouter une seule veuve ? »

Henri de Lantivy, éleveur bio à Vannes

« Pour élever nos cinq enfants, il a fallu se développer, mais nous n’avons pas voulu voir trop grand pour ne pas dépendre du système. Aujourd’hui, nous produisons de la viande bovine bio. Nous faisons pâturer les bêtes, ce qui engendre peu de coûts. Nous ne produisons pas de lait, ce qui enlève les contraintes de la traite ; cela génère moins de revenus, mais nous gardons une meilleure qualité de vie et nous pouvons nous arrêter le dimanche. Nous ne sommes pas des machines ! » Il continue : « Je pense que nous allons vers une agriculture de proximité. Notre fierté, c’est de produire de la qualité et de faire passer le message au consommateur. Je vois l’avenir de façon positive grâce aux circuits courts.

Aujourd’hui, nous sommes menés par une politique écologique. Pour moi, la différence entre un paysan et un écologiste, c’est la différence entre un croyant et un pratiquant. Nous sommes pratiquants, donc nous sommes croyants ! Nous devons travailler le mieux possible, avec le plus de clarté et de transparence, parce que nous nourrissons l’homme.»

Stéphane Le cadre, agriculteur bio à La Sainte-Croix.

 « La terre a nourri des centaines de générations avant nous. Nous devons la laisser en bon état pour les générations suivantes. Ma devise de paysan : je travaille la terre avec le ciel. Quand je sème 30 kg de graines de maïs dans un hectare et que, 140 jours après, j’en récolte 60 000 kg, je sais que je n’ai rien fait. C’est Dieu qui a tout fait ! Je veux juste être un instrument entre ses mains. »

Blandine et Paul, jeunes agriculteurs dans la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, à Plonéour-Lanvern, près de Quimper (Finistère sud). Polyculture, maraîchage et élevage bio.

Blandine : « Nous ne sommes ni l’un ni l’autre issus d’un milieu agricole mais je suis ingénieur agronome. À mon entrée à l’école, j’avais déjà décidé de m’installer. En découvrant le monde paysan, j’ai aussi découvert une paix et une joie intérieure. J’ai vu que la vie pouvait être simple et heureuse. Nous avons fait le choix de nous installer en sachant que nous allions gagner peu. Ici, tout est unifié : nous travaillons et vivons au même endroit, nous n’avons pas à chercher nos relations et occupations ailleurs. Il y a une cohérence entre le travail, la vie personnelle et la vie de famille. Nous vivons heureux avec ce que Dieu nous a donné, là, sous nos pieds Il faut découvrir la nature et apprendre à vivre avec elle. »


Deux intervenants répondent aux questions

Ingénieur agronome et économiste, Arnaud du Crest est membre du groupe diocésain « Écologie et parole de chrétiens » pour le diocèse de Nantes. Il est intervenu sur le thème Laudato Si, un appel à la sobriété.

Pourquoi ce sujet pour des agriculteurs dont beaucoup vivent déjà une vie très simple ?

Je sais bien qu’une grande partie des agriculteurs mène une vie simple, pas forcément par choix mais par nécessité. Ce à quoi nous appelle le pape François, c’est à une sobriété choisie. Et je voudrais faire passer cette idée de choix de sobriété dans la vie personnelle, mais aussi dans la façon de produire. De nombreux d’agriculteurs utilisent beaucoup d’énergies fossiles, de machines, etc. Il y a là une conversion assez totale du mode de production à réfléchir et à engager. Un mouvement est en train de s’amorcer.

Cette sobriété signifie-t-elle le retour à une agriculture ancestrale ?

Pas du tout, il ne s’agit pas de rejeter la recherche et les progrès techniques. La culture sans labour, par exemple, est une méthode très exigeante qui demande une connaissance très fine des végétaux, du sol, pour adapter ses cultures. L’agriculture bio implique de connaître les parasites, etc. Vivre la sobriété n’est pas se tourner vers l’agriculture d’antan, mais vers une agriculture en progrès qui n’utilise pas toutes les prothèses mécaniques, chimiques et énergétiques.

Comment chaque agriculteur peut-il faire cette conversion ?

En s’associant avec des amis. Tout seul, c’est très compliqué. Il y a plusieurs voies de conversion et beaucoup d’expérimentations se font. La sobriété doit se vivre, il me semble, en respectant l’environnement, en ne considérant pas la nature uniquement comme une matière première mais comme une conversion avec laquelle on travaille. C’est ce à quoi nous appelle le pape François.

Ralentir est une composante très importante de cette façon de vivre ?

Le pape François parle plusieurs fois du ralentissement dans Laudato Si. Il dit qu’il faut ralentir notre vitesse de production et de consommation. Ralentir la production, cela veut dire diminuer la productivité, c’est un renversement très fort ! Cela signifie que l’on décide de donner notre attention à la qualité de ce qu’on produit, qu’on prend le temps de produire et qu’on arrête de produire de plus en plus de choses jetables et de mauvaise qualité. C’est un changement assez radical qui va de pair avec le ralentissement de notre consommation. Cette notion de ralentissement est un élément important économiquement mais aussi spirituellement. Il ne faut pas l’oublier, ralentir son rythme de vie, c’est donner plus de temps à soi-même et à ses proches.

Vous avez parlé de l’empreinte écologique 1 des pays d’Afrique, de l’Inde, de l’Afghanistan, qui ne dépasse pas une planète. Mais ce sont des pays qui ont beaucoup de difficulté au niveau de l’éducation de la santé etc. ?

Tout le problème est l’économie monétaire dans laquelle nous sommes plongés. Quand les pays étaient moins monétarisés, les gens produisaient eux-mêmes une partie de leurs vêtements, les jardins produisaient une bonne partie des légumes, etc. La population avait moins besoin d’argent et pouvait, avec une économie monétaire moins importante, vivre aussi bien.

Les pays d’Afrique qui sont aujourd’hui très pauvres sont dans la misère, pas dans la pauvreté. Et j’aime bien ce livre de Majid Rahnema : Quand la misère chasse la pauvreté 2. Plus on fait de projet de développement, plus on introduit d’économie marchande dans ces pays et plus on introduit la misère, pas la pauvreté. La pauvreté peut être heureuse, la misère non.

Dans notre pays aussi, il faut qu’on réduise la part marchande, c’est-à-dire qu’on devienne plus autonomes. Plus on a besoin d’acheter de choses pour vivre, plus on est sujet à la misère. On peut diminuer notre produit intérieur brut, donc la croissance, donc notre empreinte écologique, à condition qu’on devienne plus autonome. Moi, j’apprends à mes petits enfants à réparer. Et réparer, ce n’est ne pas jeter.

  1. L’empreinte écologique est une estimation de la surface terrestre nécessaire pour subvenir à ses besoins : cet outil est une mesure de la pression qu’exerce l’Homme sur la nature. Source : https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/developpement-durable-empreinte-ecologique-2585/
  2. Édition Actes Sud, mars 2003.

Stéphanie Bignon, présidente de l’association Terre et famille, agricultrice et ingénieur, est venue présenter son association.

Vous avez fondé l’association Terre et famille il y a quelques années. Quel est son objectif ?

Terre et famille a pour but de retrouver le sens de l’initiative au cœur de nos terroirs grâce au magnifique réseau de petites communes que nous avons en France. Le premier combat, c’et de les préserver, ensuite de les faire vivre. Nous considérons que ces villages vivent avec leur cœur et que leurs cœurs, c’est l’église Donc, notre but est de réouvrir les églises, d’y réciter le chapelet, de les restaurer. Faire revivre une église, c’est finalement faire revivre un village.

Quel message voulez–vous donner aux agriculteurs ?

Nous vivons une crise très dense, très intense, qui pousse au désespoir. La première idée est d’identifier ce mal qui nous pousse au désespoir, cette culpabilisation : il y a un traitement extrêmement injuste des paysans qui ont fait ce qu’on leur avait demandé il y a quelques dizaines d’années et à qui, aujourd’hui, on reproche d’avoir fait ce à quoi ils avaient été poussés. Mon message est donc de dire : nous ne sommes pas coupables, nous devons trouver des solutions pour nous en sortir. C’est en retissant des liens, en étant présents ensemble, en se disant en toute sincérité les choses, que nous avons une chance de combattre le désespoir et de retrouver cette joie chrétienne profonde qu’avaient nos ancêtres paysans, qui leur a permis de dépasser les crises.

Vous incitez aussi les agriculteurs à s’engager en politique…

Les élections municipales sont une échéance très intéressante pour les agriculteurs. 94 % de nos communes sont composés de moins de 5000 habitants. J’invite les paysans, aujourd’hui très peu présents dans les conseils municipaux, de participer aux réunions de conseils, voire d’agir concrètement en tant qu’élus. Il y a dans les conseils municipaux de ces 34 000 communes une marge de décision. On peut se reprendre en main. Il faut retrouver la subsidiarité qui, pour nous catholiques, est une forme d’incarnation de notre liberté d’enfant de Dieu dans le domaine politique. Essayons de nous ré-enraciner pour prendre le contre-pied de la politique globale qui nous fait si mal, qui vient de si loin, et qui est tellement incohérente avec nous.

En quoi, pour vous, la famille est-elle un terreau d’espérance ?

Je trouve que la fameuse expression qui consiste à parler de la consommation des ménages, du niveau de vie des ménages, du bonheur des ménages à travers leur niveau de consommation, est horriblement réducteur, voire destructeur. La famille terreau d’espérance, c’est remettre la famille là où elle doit être, c’est-à-dire comme la cellule de base de toute société saine. Si elle est une cellule de base, elle n’est pas seulement consommatrice. La famille paysanne était composée d’un homme, d’une femme, des enfants qui travaillaient, qui n’étaient pas seulement là pour consommer mais qui produisaient. Dans cette unité qu’était la ferme, on s’élevait par le travail, on créait de véritables liens, on  apprenait la rudesse de l’effort. La famille est terreau d’espérance parce qu’elle est la cellule de base, c’est-à-dire non seulement un papa, une maman et des enfants, mais aussi une cellule économique et politique.