Le voyage du pape en Irak vu par le père Pierre Brun-Le Gouest, sur place

Le père Pierre Brun-Le Gouest est délégué de l’Oeuvre d’Orient pour le diocèse. A ce titre, il voyage régulièrement en Irak auprès des chrétiens de Qaraqosh et de la plaine de Mossoul. Encore là-bas à ce jour, il était présent lors du voyage du pape, et nous raconte :

Contacté au téléphone par RCF lundi 8 mars 2021

Une véritable prouesse : le pape a souhaité, malgré son grand âge et sa récente opération, se rendre dans ce pays, en dépit des questions sécuritaires et sanitaires. Ce voyage est d’abord un acte prophétique. L’Irak n’avait pas reçu dans son histoire la visite d’un pape, jusque-là, et le simple fait qu’un chef d’état passe 3 jours dans ce pays ne s’était pas vu depuis des décennies dans ce pays. Avant même d’être un évènement pour les chrétiens, c’est un évènement pour tout l’Irak.

Comment réagit la population ?

L’Irak est un pays divisé, la réaction des irakiens est diverse en fonction des populations. Pour les chrétiens, c’est une immense joie après la tragédie de 2014, dont les effets se font encore sentir. C’est comme si la ville de Qaraqosh, qui a été incendiée et détruite, avait été reconstruite, avec l’aide des ONG, pour accueillir le pape. Sa venue dans cette ville représente, comme l’a dit le patriarche syriaque catholique, « des noces, des épousailles ».

Pour le reste de la population, la venue du pape est à la fois la venue d’une grande figure spirituelle dont les paroles ont touché par leur humanité –car le Saint Père a su employer des mots recevables par tous. Ce fut aussi une grande consolation pour les yézidis, dont la communauté a connu un véritable génocide, et qui se sont vus stylés dans presque la totalité des prises de paroles du souverain pontife. Pour ce qui est des musulmans, comme vous le savez, sa Sainteté a rencontré le Grand Ayatollah al-Sistani, qui est la figure du chiisme irakien, les chiites représentant 70 % de la population de ce pays et étant au pouvoir depuis 2003. Ce faisant, pour de nombreux musulmans, la visite du pape a aussi été un évènement d’importance.

On a pu le constater d’une façon toute singulière, aussi, dans les communautés sunnites de Mossoul où une attente forte est exprimée quand au retour des chrétiens dans la ville, qui restent aujourd’hui encore extrêmement minoritaires.

Il y a évidemment de grandes joies à la venue de ce pape, et une attente que celle-ci engendre des changements dans ce pays qui connaît la récession économique, une corruption devenue systémique, et des problèmes sécuritaires d’importance, avec la présence de milices chiites d’obédience iraniennes, et les ingérences régionales et internationales que nous connaissons.

Quels changements peut-on attendre de ce voyage ?

Il me semble que les effets de la visite du Saint Père sont d’abord de nature psychologique, politique et éventuellement culturelle. Le gouvernement a su manifester sa capacité à organiser la sécurité d’une personnalité de cette ampleur pendant son séjour, et un certain nombre d’aménagements ont été réalisés à la hâte pour le favoriser concrètement. Il y a donc un surcroît de crédits à apporter à la capacité de l’état, quand à vivre une relation internationale digne et crédible. Cependant, d’un point de vue concret, il n’y a pas, probablement, d’effets majeurs à attendre de la venue du Saint Père.

Par contre, d’un point de vue psychologique, culturel et politique, on peut espérer que ses paroles de paix, de réconciliation, d’unité dans une acceptation de la diversité religieuse, fassent évoluer un certain nombre de mentalités, favorisent la prise en considération des chrétiens dans le pays, une meilleure découverte de certains musulmans d’un christianisme dont ils ignorent tout, et peut-être pour les chrétiens une ouverture d’esprit approfondie à l’endroit des musulmans, à l’égard desquels ils ont conservé des réticences et des peurs, notamment dans la plaine de Ninive.

Votre meilleur souvenir ?

Je n’ai pas cherché à rencontrer le pape car mon parti –pris était d’être avec les habitants eux-mêmes. J’entretiens avec ce pays, depuis 2015, une relation d’amitié, et le cœur de ma présence a consisté à partager la vie des camps en 2015 lorsque les chrétiens étaient réfugiés à Erbil, puis d’accompagner leur retour dans la zone de peuplement la plus importante pour les chrétiens, qui est la plaine de Mossoul, et à Qaraqosh.

Le souvenir le plus précieux est celui de l’arrivée du Saint Père à Qaraqosh, et plus précisément dans l’église « al-Tahira » –  « l’Immaculée » en arabe, qui est la cathédrale syriaque catholique de Qaraqosh, la plus grande église chrétienne d’Irak. L’ensemble des maisons refaites, la splendeur des aménagements et la liesse d’une population avoisinant, je pense, les 10000 personnes ont été vraiment l’occasion d’une profonde action de grâce empreinte d’émotion, car cette ville, je l’ai connue en cendres et en ruine. Une ville de 50000 habitants juste avant l’exil, quasi réduite à néant, qui, au moins pour son centre ville, a été reconstruite, rénovée et même embellie.

Le fait que le pape soit venu est un exaucement que personne ne pouvait imaginer il y a 6 ans.

Le fait de voir la fierté, la joie, l’émotion de cette population a été pour moi l’expression la plus profonde du bonheur qui nous était donné de vivre ensemble.

Comment transmettre ici, créer un pont avec le Morbihan ?

Au titre de mes fonctions de délégué de l’œuvre d’Orient pour le diocèse de Vannes, mon travail consiste à faire connaître, à faire aimer, à faire prier et à soutenir ces communautés orientales. Au lendemain de mon retour j’aurais matière à partager, à travers des conférences et des rencontres, ce 5ème séjour en Irak, marqué par la visite du Saint Père.

Pour ce qui est de mes paroisses, j’ai toujours eu à cœur, tout en sensibilisant, de ne pas monopoliser l’attention et la solidarité de mes paroissiens sur cette relation particulière que j’entretiens avec l’Irak, pour permettre à d’autres solidarités de s’exercer à l’échelle communautaire. Par exemple cette année nous soutenons un projet au profit de catéchistes d’un diocèse du Burkina-Faso.

Journal de bord d’un prêtre français en Irak

Extrait de la page Facebook du père Pierre Brun-Le Gouest

Samedi 6 mars

« Quelques vues de la procession du soir, de la cathédrale Al Tahira à l’église de Mar Benham et Sarah. Le pas des scouts a fière allure. L’heure est à la fête. Demain le Pape vient. Le Patriarche Ignace Youssef III Younan est entouré des archevêques de Mossoul et de Bagdad et précède les prêtres de la ville. Si le fait d’une procession lui même n’est pas exceptionnel, la circonstance l’est. »

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Dimanche 7 mars

« Alors que le Saint Père achève sa prise de parole devant l’Al-Tahira de Mossoul, le peuple de Qaraqosh se prépare à son arrivée. »

« Quelques instants supplémentaires pris au vol lors de la venue [du pape-ndlr] à Qaraqosh la chrétienne, avec notamment la vénération de l’icone offerte par le Pape. »

Lundi 8 mars

« Après l’intensité, le retour à la normale. Retrouvailles prolongées avec Seydna Moshe, archevêque de Moussoul, pour un projet d’écriture, et désormais en résidence dans le couvent des frères du Christ Rédempteur. Visite du chantier de Notre Dame de l’Espérance pour un quartier jusque-là dépourvu d’église. Deux nouvelles églises sont en cours de construction. On ne se contente plus de restaurer. »

« Visite à la toute nouvelle fondation des frères de la croix, d’origine maronite. Le monastère est installé à coté de l’antique site de Kyryakos où les fidèles viennent au printemps. Inspirée de la spiritualité ascétique, la communauté inspire autant qu’elle interroge. »