Noël en centre de détention

Cela fait 14 ans que, chaque année, Monseigneur Centène célèbre la messe de Noël dans les centres de  détention de Lorient et de Vannes. Pour la première fois, le service com’ est autorisé à entrer pour réaliser un reportage sur la fête de Noël à Ploemeur ! Récit.

Vendredi 21 décembre, rendez-vous est donné devant l’entrée. La messe est prévue à 15h30, mais il faut être sur place à 14h30 : l’équipe des bénévoles est déjà là, nous attendons devant les grilles, un peu anxieux, jusqu’à ce qu’un gardien nous appelle à l’interphone : nous pouvons entrer…

Le temps de passer les systèmes de sécurité et contrôles, et d’obtenir notre badge, Monseigneur Centène nous rejoint. Habitué du lieu, les gardiens le font passer rapidement. Moi il faudra que je montre patte blanche, et détaille le courrier reçu du centre régional pénitentiaire, qui m’autorise à faire entrer du matériel photo, et à faire un reportage sous certaines conditions de confidentialité bien compréhensibles…  Heureusement la directrice arrive qui facilite les choses. Première étape passée : les gardiens font bien leur métier !

 Après un long temps de marche à travers un dédale de couloirs, guidés par un gardien, un sentiment d’oppression commence à se faire sentir. Monseigneur Centène m’avait prévenue : le bruit du claquement des grilles se refermant derrière nous, au fur et à mesure de notre progression, est inquiétant.  Et la descente de plusieurs escaliers renforce encore ce sentiment. 

Anne-Marie Brishoual, aumônier du lieu, m’explique que cette année la messe de Noël se déroule dans une salle d’atelier, en sous-sol, car celle dédiée aux spectacles et au culte – catholique et protestant – est en travaux.

Nous croisons des uniformes, et aussi des civils : ainsi ce sont là les détenus… Par les ouvertures on aperçoit une cour et une façade avec des rangées de fenêtres d’où pendent des sortes de banderoles, « des guirlandes de Noël ? » demandai-je naïvement aux bénévoles de l’aumônerie qui m’accompagnent : non, des « yoyos », « c’est interdit et ils sont enlevés régulièrement » m’explique l’un d’entre eux ! J’apprends que ce sont des draps déchirés qui servent aux détenus à faire passer d’une cellule à l’autre par l’extérieur, en catimini, toute sorte de choses…

Arrivés dans l’atelier, la porte se referme derrière nous. Nous saluons tout le monde : gardiens, détenus, « auxis » (pour « auxiliaires » : ce sont des détenus qui se sont portés volontaires pour réaliser des travaux comme vider les poubelles, changer les draps, couper l’herbe…). Une quarantaine de chaises sont prévues, 26 détenus se sont inscrits mais tous ne sont pas encore là, il faut aller les chercher dans leur cellule, et attendre ceux qui sont en promenade.  » Il y en a 10 qui ne viennent pas, c’est toujours comme ça, il y en a qui se désistent au dernier moment« , explique Jean, surveillant. (Il a souhaité changer de prénom pour l’article)

Inauguré en 1982 suite à la destruction de la prison de Lorient causée par les tempêtes de 1978 et 1979, le centre pénitentiaire pour hommes de Ploemeur compte 227 places : 147 en maison d’arrêt (pour les personnes en attente de jugement = quartier provisoire, ou pour les peines de moins de deux ans), 40 places en centre de détention (pour les personnes jugées condamnées ), et 40 places en quartier semi-liberté (pour les personnes qui travaillent à l’extérieur ou suivent un dispositif de réinsertion à l’extérieur). Le centre de Ploemeur propose des ateliers rémunérés de mécanique générale, métallerie, serrurerie, façonnages, assemblages, petits usinages, et des formations professionnelles sur 5 mois en métallerie/soudure, ou encore des cours de langues, d’informatique, de sport, des activités culturelles ou artistiques, etc.

L’établissement pénitencier de Ploemeur compte un quartier d’isolement de 9 places (qui n’est pas un quartier disciplinaire, mais de protection du détenu pour incompatibilité avec une peine classique -comme les peines pour délit sexuel-, ou de mise au secret en cas de médiatisation, afin d’éviter tout risque d’évasion). Il compte également un quartier disciplinaire de 5 places, pour les détenus qui ne respectent pas le règlement interne : insultes, bagarres, bris de matériel, trafic…

En attendant la messe, j’en profite pour parler avec quelques-uns d’entre eux : Benoît, Stéphane, Erwan, Tony, Alexandre, Etienne : presque tous ont, eux aussi, choisi un prénom d’emprunt pour l’article. Il y a ici une mixité sociale importante. Certains viennent d’autres pays (Amérique du sud, Afrique), le plus jeune a 22 ans, le plus âgé… les cheveux gris. D’un rapide regard, on voit, dans l’assemblée présente, des « styles » très différents : dur, doux, rappeur, nomade, tatoué, maladif, neutre, bourgeois… Qu’ont-ils bien pu faire pour en arriver là ? Je n’ai pas le droit de poser la question… « Ils ont chuté, cela pourrait bien arriver à chacun d’entre nous » me confie Anne-Marie.

Tony est « auxi ». Il a une femme et « un petit garçon de 17 ans. » Crâne rasé, tatoué,  vêtu d’un t-shirt et pantalon de survêtement, il répond volontiers et bien aimablement à mes questions. On sent qu’il n’a pas beaucoup l’habitude de parler, et s’en tient au minimum. Il raconte qu’il est seul dans sa cellule, et qu’il lui reste deux ans à faire en centre de détention. Pour lui, « Noël n’est pas un jour comme les autres, malgré le fait qu’on est à l’intérieur. On reçoit des cartes de voeux, des colis, et on a le droit à plus de parloir [plus de visite-ndlr] » Il ne va pas à la messe ou à l’ADAP du dimanche (Assemblée Dominicale en Attente de Prêtre) proposée par l’aumônerie, mais il est là aujourd’hui car il a participé à la mise en place de la salle, et « ça donne envie de rester« … Finalement Tony ne restera pas.

Erwan lui, va assister à la messe, et tiens à faire une lecture : « Je suis très croyant, la foi m’aide beaucoup. Je n’étais plus pratiquant après mon divorce, mais depuis que je suis en prison, j’ai demandé à rencontrer l’aumônier, Anne-Marie. Je vais à la célébration tous les dimanches, ça m’apporte la paix. » « La messe de Noël apporte un peu de joie entre les détenus, » continue-t-il.

…Malgré la prudence voire la méfiance qui peut régner entre eux au quotidien. Aucun n’en parlera, mais les agressions entre détenus, ça existe et elles peuvent être même fréquentes. « Certains abusent pour avoir du café, des cigarettes, des timbres. Car tout est payant. Comme il n’y a pas la possibilité d’avoir des secrets quand on est deux dans une cellule, rien ne ferme à clé, ça peut déraperil reste la possibilité aux détenus de demander à changer de cellule » me dira-t-on par ailleurs.

Tout le monde a pris place. « C’est dans le froid de notre nuit que le Seigneur vient apporter la chaleur » commence Monseigneur Centène. Le silence est impressionnant, et se prolonge durant l’homélie : « si nous célébrons la première messe de Noël en prison c’est sans doute que nulle part ailleurs on ne peut bien comprendre ce qu’est la fête de Noël. » La lecture nous dit « sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi ». « Oui mes amis, pour espérer cette lumière, pour en goûter les bienfaits, il faut être conscient que l’on est au pays de l’ombre […]que l’on est ce peuple qui marchait dans les ténèbres. […]   Où mieux qu’ici peut-on comprendre que nous avons besoin d’un rédempteur, c’est-à-dire de quelqu’un qui nous rachète, de quelqu’un qui paie notre rançon ? […] «  

« Nous n’approchons pas du Seigneur en invoquant notre mérite […] mais notre péché [..]. Que ce soit la cause de notre joie […] ! Il est venu dans l’humilité d’une mangeoire d’animaux pour que personne ne puisse se sentir exclu de sa volonté de nous arracher aux ténèbres« …

Lire l’homélie de Monseigneur Centène ici, ou écouter ci-dessous :

Ecouter l’homélie de Monseigneur Centène

Le moment d’échange du geste de paix est beau : chacun serre la main de son voisin, certains arrivent à sourire… Ici tout a un sens plus fort,  on va à l’essentiel. A la communion, presque tous sont allés recevoir le corps du Christ. 

Daniel dévoile la maquette faite par des détenus pour Anne-Marie

Après la bénédiction finale, Daniel, bénévole dans l’équipe d’aumônerie, prend la parole au nom de tous : cela fait 35 ans, depuis 1983, qu’Anne-Marie Brishoual accompagne les détenus, dont les 12 dernières années en tant que responsable de l’aumônerie. Elle prendra sa « retraite » en 2019. Alors pour la remercier, certains lui ont fait une surprise, et ont fabriqué une maquette d’église en matériau récupéré ! Anne-Marie remercie avec pudeur. « Si vous aviez quelque chose à retenir d’Anne-Marie, qu’est-ce que ce serait ? » demande encore Daniel aux participants. Les mots fusent : joie, bonheur, partage, délicatesse, courage, amour.

Bel hommage à une femme de poigne – et de Foi ! –  qui n’a pas eu peur pendant 35 ans de donner de son temps et de son énergie aux détenus … habituée qu’elle était de travailler avec des malades psychiatriques, en tant que responsable d’une structure. (Elle nous avouera qu’elle n’a pas peur par habitude, « le Bon Dieu, il est là tout le temps. » )

« Elle est pour nous comme une maman » lance l’un d’entre eux. « Vous êtes mes enfants » répond-elle. L’émotion est palpable, dans cette assemblée masculine…  C’est André Kermarrec, diacre (à gauche sur la photo ci-dessus) qui prendra sa suite à l’aumônerie. Mais pour l’instant, place aux petits fours ! 

Car pour la première fois dans l’histoire du pénitentier, un goûter de Noël est proposé par la direction. Il a été réalisé par des détenus dans l’atelier cuisine, et le résultat est beau… et bon ! Anne-Marie raconte : « La directrice m’a dit : « cette année je vais vous proposer quelque chose de bien »! C’est formidable et nous nous réjouissons car cela est une reconnaissance de ce que nous faisons, avec les membres de l’aumônerie, mais aussi pour les détenus« .

Messe de Noël 

C’est un peu plus de lien et de joie offerts pour Noël, joie discrète mais réelle. Pour Salvadore, « C’est un temps de convivialité, on oublie presque qu’on est en prison. Incarcéré depuis deux mois, il raconte : « Je n’étais pas allé à la messe depuis plus de 10 ans. Cela m’a rappelé mon enfance, et la chorale à laquelle je participais en Guyane française, j’ai eu des frissons » ajoute-t-il. « Pour moi la messe est une libération du coeur et de l’esprit, cela m’apaise. »

Même si la joie de Noël est assombrie par la souffrance de la détention. « Noël est une période difficile pour nous  » explique Jean, surveillant. « Cela nous demande d’être plus attentifs car parmi les détenus certains n’ont pas la permission de sortir, ils ont des familles, des enfants, cela soulève beaucoup de tensions… » « Et puis il n’y a pas de sapin de Noël à l’intérieur du centre de détention, pas de décorations de Noël » confie-t-il. « C’est un gros contraste avec l’extérieur.« 

Benoît confirme, un peu malhabile, un peu gêné d’être là, mais finalement emporté par le besoin de lien social – et peut-être de montrer qu’il n’est pas « mauvais »? –  : « C’est compliqué de garder le moral, séparé de ceux qui nous attendent. » Mais « c’est beau de voir un évêque se déplacer en personne« , continue-t-il, et « à travers les aumôniers, les prêtres, les diacres, c’est Jésus qui vient dans la prison. » Benoît a installé un coin prière dans sa cellule, avec des icônes,un crucifix, des images, et une photo de crèche pour Noël. Cette année, il a la permission de sortir pour aller à la messe de la nuit de Noël. Une bouffée de bonheur, devine-t-on.

Le flot de paroles se fait plus dense : il nous explique que, malgré le droit à une visite par semaine, la possibilité de suivre des cours et de participer à des ateliers,  malgré les visites d’aumônerie, de médecins, etc., il est difficile de rester sociable en prison. « On devient hyper enfermé sur soi-même » continue-t-il.  » Heureusement, il y a l’aumônerie. « Elle occupe une place centrale dans ma vie. Je peux créer des liens avec les bénévoles. » 

En discutant avec les détenus, on se rend compte de la place très importante que tient l’aumônerie auprès d’eux. Alexandre, 22 ans, témoigne : « Les bénévoles sont précieux pour nous, pour discuter, échanger les idées, sourire, donner de la bonne humeur. » Pour lui, « Anne-Marie inspire le courage à travers sa façon d’être. Je lui ai dit : « je ne vous oublierai jamais, vous êtes ma force. » Je suis triste qu’elle quitte bientôt le poste de responsable. » Avant d’arriver, Alexandre se considérait comme athée. Maintenant il accepte de discuter « je cherche quelque chose. Depuis que je suis en prison je pense fortement à me préparer à ma 1ère communion. » Et d’ajouter :  » Merci Anne-Marie, ma petite grand’mère.« 

Equipe de bénévoles de l’aumônerie présents pour la messe de Noël 2018

Une autre personne était présente à la messe de Noël : le pasteur protestant, invité par Anne-Marie. David Vauvel est pasteur depuis 20 ans, et depuis 15 ans aumônier protestant des prisons de Lorient et Vannes. Ils sont deux à se partager cette fonction, avec Marc Plunier, un sédentaire. Car David Vauvel est nomade parmi les Gens du voyage et vit avec sa femme et ses trois enfants dans une  caravane. Il part régulièrement avec sa famille un peu partout en France pour travailler comme artisan multiservices dans le bâtiment. Il font partie de la mission évangélique « Vie et Lumière » des Gens du voyage. Sa mission le ramène tous les 15 jours en Bretagne, pour assurer le culte protestant dans les centres de détention. Chants et guitare rassemblent près d’une vingtaine de détenus le vendredi après-midi, à Vannes comme à Lorient. La messe de Noël, c’est aussi cela : rassembler tous les hommes de bonne volonté.

Avant de se quitter, un bouquet de fleurs a été offert à chaque détenu, avec un calendrier de l’année et des chocolats. « Je vais prendre une fleur, la faire sécher, la mettre dans une enveloppe, et l’envoyer par la poste, dans mon pays, pour chacun des membres de ma famille. Mes 3 soeurs, mes 2 frères, mon fils, mon ex-femme, mes 3 nièces…. il n’y aura pas assez de fleurs ! » confie Salvadore. C’est dur d’être loin. 

Mais comme l’a dit Monseigneur Centène, gardons la foi dans le « pardon des péchés et la vie éternelle qui surpasse tous nos soucis, tous nos échecs, tous les malentendus qui peuvent émailler notre existence. » Quelques-uns parmi Etienne, Erwan, Salvadore, Alexandre, Benoît, Stéphane ont accepté que l’on prie pour eux… Nous ne les oublierons pas !

Pour rejoindre l’aumônerie, contactez : 
Centre pénitentiaire de Lorient-Plœmeur – responsable Anne-Marie BRISHOUAL 02.97.05.15.96 – 06.03.37.68.66,  anne-marie.brishoual@wanadoo.fr
Maison d’arrêt de Vannes – responsable : Michel LE GOUËLLEC, diacre, bénévoles : Marie-pierre GOUELO 02 97 54 12 16 ou Michel AUDO  02 97 63 60 22    
La première qualité d’un bénévole, c’est de savoir écouter les détenus.