Visite en Morbihan sur les pas des Mauméjean

(Re)découvrir une page de l’art sacré dans les églises et chapelles du Morbihan : c’est ce que propose cette visite guidée d’Irène de Château-Thierry, responsable de la Commission d’Art Sacré (CDAS) du diocèse, sur les traces des manufactures de la famille Mauméjean, de ses vitraux et de ses mosaïques.

Article tiré de la revue Chrétiens en Morbihan

« Aujourd’hui presque oubliée(1), cette famille d’artistes constitue un exemple hors norme de réussite dans le domaine des arts décoratifs français. Organisées en plusieurs succursales d’abord à Pau, ensuite à Madrid, Paris et Hendaye, les activités de Jules-Pierre Mauméjean (1837-1909), puis de ses fils, permirent l’ornementation de quelques 5 000 cathédrales, basiliques ou chapelles disséminées dans plus de vingt-cinq pays, principalement entre les deux guerres.

Les manufactures Mauméjean étaient remarquablement organisées, tant du point de vue commercial qu’artistique. Elles proposaient des réalisations de grande qualité qui contribuèrent à revaloriser la technique du vitrail dans l’entre-deux-guerres. Charles Mauméjean (1888-1957), à la tête des maisons françaises, parvint à se faire confier, dans des constructions neuves, l’intégralité d’un décor d’église, baies, murs et mobilier, en verre et mosaïque. La cohérence esthétique et iconographique de l’ensemble lui permettait alors de concevoir une œuvre décorative totale, à la pointe de la modernité, tout en s’inspirant des techniques de la « sainte tradition », dans une veine « néomédiévale ».

Les deux exemples les plus remarquables de cet art sont, dans le Morbihan, l’église Saint-Gérand de Palais, à Belle-Île, et l’église Sainte-Radegonde de Riantec, construites entre 1927 et

1945. La basilique Notre-Dame-du-Roncier à Josselin fut une des premières à accueillir l’art des Mauméjean en Morbihan sous la forme de deux vitraux monumentaux, représentant une « nativité de la Vierge avec la Trinité » et « le mariage de la Vierge ». Leur graphisme géométrique  se rattache au style art-déco, comme les trois premières des dix-huit baies de l’église du Palais.

Charles Mauméjean préféra ensuite un dessin moins heurté, des grands tableaux aux formes schématiques et courbes, sans beaucoup de perspective, qui laissent toute leur place à l’expression du verre coloré et aux figures monumentales aux visages clairement modelés.

 

A Palais, comme à Riantec(2), les grandes verrières accompagnent un ensemble complet de mosaïques, omniprésentes à Riantec, dans de grands retables, et jusque sur les piliers de la nef qui portent un remarquable chemin de croix. Le mobilier de l’église de Palais (autel et tabernacle, sièges, chaire et ambons, fontaine baptismale) s’orne de tesselles et d’objets de verre moulés. La mosaïque permet de traiter remarquablement les deux « fontaines » de l’église, en un motif d’eau courante qui se prolonge du mur au sol : les fleuves d’eau vive coulent depuis l’autel pour irriguer les sacrements représentés au sol du chœur, tandis que le Jourdain, au baptistère, vient saisir les pieds du catéchumène.

À Auray, 14 baies vitrées

À Lorient, les frères Mauméjean ont encore participé à l’ornementation de l’église Sainte-Thérèse-de-Keryado, construite à partir de 1929 dans un style néo-roman. Elle est ornée, à partir de 1941, d’une grande fresque dans le chœur, du décor de l’autel, et de quarante vitraux qui racontent la vie de la petite sainte de Lisieux. Dans l’église Bienheureux Charles-de-Blois d’Auray, construite à la même époque par l’architecte diocésain Caubert de Cléry, les Mauméjean créent des mosaïques pour le décor des voussures, et un ensemble remarquable de quatorze baies vitrées, terminées après guerre. Le chœur de l’église de l’Île-aux-Moines, avec vitraux et mosaïques est aussi leur oeuvre, comme la chapelle du grand séminaire de Vannes, actuelle maison du diocèse. Cette dernière chapelle montre d’une manière particulièrement aboutie comment les arts de la lumière participent à l’architecture. L’association des deux techniques, vitrail et mosaïque, se retrouve encore dans les églises de Cléguer (un retable en mosaïque et un vitrail), Neulliac ou Bignan (huit baies et barrière de communion).

 

Quelques églises ont commandé également des vitraux pour compléter l’ensemble de leurs baies, comme à Peillac, à la chapelle Notre-Dame de Carmès en Neulliac, ou dans le chœur de l’église du Faouët reconstruite après l’incendie de 1917.

Après guerre, freinée par des années de pénurie, la manufacture peine à reprendre le même essor : elle termine les grands chantiers d’avant-guerre et fournit quelques vitraux de la reconstruction à la chapelle Notre-Dame-de-bonne-nouvelle de Cléguer, à l’église Saint-Christophe de Lorient (avec sept baies), à Guidel et Guémené-sur-Scorff. En 1954, Charles Mauméjean travaille encore à la chapelle du grand séminaire de Vannes pour une ultime mosaïque. Mais critiqué par les nouveaux mouvements d’art sacré qui lui reprochent le caractère industriel et commercial de son œuvre, mis en difficulté sur les chantiers religieux qui retardent les paiements, Charles se donne la mort le 24 décembre 1957. La magnifique aventure familiale ne survit pas au décès du dernier frère.

Visiter et admirer ses œuvres est une manière de réhabiliter aujourd’hui la mémoire de cette page importante et originale de l’art sacré en France.

 

Irène de Château-Thierry, responsable de la Commission diocésaine d’art sacré (CDAS).

 

(1) L’œuvre des Mauméjean a été redécouverte grâce à la thèse de Benoît Manauté : « Flambe ! Illumine ! Embrase ! La manufacture de vitrail et mosaïque d’art Mauméjean », Le Festin éd., 2015.

(2) L’église de Riantec a été magnifiquement restaurée par la commune en 2007, et celle de Palais classée monument historique cette année.