Démarche de Carême : le pardon

Le billet du père Jean-François Audrain, archiprêtre du pays de Pontivy

« Personnellement je me confesse, et j’essaie de suivre les conseils du pape Jean-Paul II qui disait, notamment pour les consacrés, qu’il faut se confesser régulièrement, fréquemment, au moins tous les mois. J’essaie de le faire tous les 15 jours – 3 semaines si je peux.

Comme pasteur, on essaie de proposer ce sacrement à nos paroissiens systématiquement deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, et évidemment à chaque temps fort de l’année liturgique ; avec en plus aux temps forts liturgiques des cérémonies pénitentielles communautaires, avec absolution individuelle.

Confession lors du pardon de Ste Anne d’Auray – 26 juillet 2017

Tel que la liturgie le propose, c’est beau qu’un moment donné on puisse en tant que communauté se reconnaître pécheur. Notre péché est à la fois individuel et communautaire. Une chose est de faire la démarche individuelle, parce que le péché est toujours personnel évidemment, c’est pour cela qu’il y a une absolution individuelle, mon péché ce n’est pas le péché de mon voisin, c’est moi qui doit faire la démarche pour moi.

Mais en même temps nous sommes solidaires, et dans le bien et dans le mal. Sainte Elisabeth Leseur disait : « une âme qui s’élève élève le monde, une âme qui s’abaisse abaisse le monde ». On est solidaire dans le bien comme dans le mal et il est bon de temps en temps, en tant que communauté, de reconnaître que nous avons péché, que nous avons faillit, que nous ne sommes pas à la hauteur de notre vocation à la sainteté, et donc de faire cette démarche humble de se reconnaître ensemble pécheur.

Pour moi c’est un très beau rendez-vous toujours. J’aime beaucoup le psaume 50 « Rends-moi la joie d’être sauvé »

Parce que c’est vraiment dans l’expérience du salut qu’on expérimente l’amour de Dieu et la joie d’être aimé par le Seigneur. La suite de cette phrase c’est « aux pécheurs j’enseignerai tes chemins, vers Toi reviendront les égarés. » C’est très beau parce que c’est dans la mesure où on expérimente personnellement le salut de dieu qu’on retrouve la joie de l’Evangile, pour reprendre l’expression du pape François. Et à partir de là on peut être témoin de cet amour du bon Dieu. Mais comment l’annoncer si on ne l’a pas expérimenté ? Toute l’Eglise est à la fois un Eglise réconciliée et une Eglise qui réconcilie. C’est le cœur de la vocation de l’Eglise de réconcilier le monde avec Dieu et les hommes entre eux, par les moyens du Salut.

On retrouve ça au début du texte de Vatican II, dans Lumen Gentium. Mais elle peut le faire car elle-même est une église de pécheurs réconciliés. Et donc l’expérience, que nous proposons dans l’Eglise, du sacrement du pardon, c’est vraiment de retrouver la beauté de notre visage d’enfant de Dieu, pour que nous puissions, comme il est dit dans le chapitre 1 de Lumen Gentium, refléter en tant qu’Eglise la beauté du visage du Christ qui est le Lumen Gentium, la lumière du monde.

Si l’Eglise ne lave pas son vêtement dans le sang de l’Agneau – ça c’est très beau, j’aime beaucoup ce texte que nous lisons à chaque fête de Toussaint –  dans cette vision de l’apocalypse, on pose la question : mais qui sont tous ces vieillards ? Tous ces gens qu’on voit au Ciel vêtus de blanc ? La réponse est : ce sont tous ceux qui ont lavé leur vêtement dans le sang de l’Agneau. On n’est pas saints, on est rendus saints, mais dans le sang de l’Agneau,  dans cette œuvre du salut, dans cette grande absolution sur le monde qu’est la croix du Christ. On peut voir ce mouvement de la Croix horizontal et vertical, comme une grande absolution qui a été versée sur le monde, et de là vient que nous ne sommes et ne seront jamais que des saints pardonnés.

C’est bouleversant, et je ne comprends pas que les chrétiens se soient éloignés du sacrement de la réconciliation. Comme pasteur ça m’attriste. Je voudrais tellement que les gens connaissent ou réexpérimentent ce don du sacrement de pénitence, qui est la première chose que Jésus ressuscité confie à ses apôtres au soir de Pâques. Il souffla sur eux, « recevez l’Esprit-Saint, ceux à qui vous remettrez les péchés ils seront remis, ceux à qui vous les retiendrez ils seront retenus. » Première mission qu’Il leur confie comme ressuscité, c’est très fort, la mission de pardonner les péchés, d’aller par le monde pour ça.

Et un prêtre qui ne confesse pas [par manque de demandes- ndlr] est un prêtre qui ne s’accomplit pas. Parmi les déficiences des prêtres je crois aussi qu’il y a des déficiences des laïcs. Un prêtre qui ne peut pas exercer son ministère, qui ne peut pas servir à ce pour quoi il est fait :  donner l’Eucharistie, donner le pardon du Seigneur, c’est un prêtre qui végète, il ne faut pas s’étonner qu’il se vide de l’intérieur. 

Il y a beaucoup de choses que les laïcs peuvent faire. Mais l’Eucharistie, le sacrement du pardon du Seigneur, c’est le sommet de l’amour du Seigneur qui se verse sur les personnes, et c’est ça qui rend le peuple de Dieu saint et heureux, qui goûte la joie du Salut. Et nous ça devient notre joie. Un prêtre heureux c’est un prêtre qui peut vivre cela.

L’absolution collective est une possibilité mais encadrée par des règles très précises, elle ne se justifie pas dans le cadre d’une Eglise où il y a des prêtres pour confesser toute l’année. Il faut l’autorisation de l’évêque, cela reste exceptionnel, on ne peut faire d’une exception la règle.

Le sacrement de la réconciliation, c’est le sacrement de la nouvelle évangélisation. On n’est pas dans une première évangélisation, en France, on a déjà été évangélisé. Beaucoup sont encore baptisés. Il faut retrouver le chemin de la grâce baptismale. On ne prêche pas le baptême, on prêche le renouveau du baptême, c’est la confession. C’est la grâce du sacrement de pénitence et de réconciliation, qui nous fait retrouver la vitalité baptismale, la grâce de notre baptême.

Venir se confesser c’est accepter de s’en remettre à Dieu, à la grâce de Dieu. On ne se sanctifie pas, on est sanctifié.  Donc il y a une démarche d’humilité, qui nous grandit.

Je pense que ce qui fait que les gens ne s’approchent plus de ce sacrement, c’est qu’on n’a plus tellement l’idée du Salut. Ça veut dire quoi être sauvé ? A force de chanter « On ira tous au paradis », on a perdu le sens du drame qui se joue dans l’humanité, et qui justifie la croix du Christ. Pourquoi a-t-Il donné sa vie ? c’est qu’il y a un drame : il s’agit de sauver l’homme ! Le salut est pour tous mais à condition de l’accueillir, d’acquiescer à ce salut, de venir le recevoir, se mettre sous la croix. Et donc si on ne croit plus au Salut, on a une spiritualité de dilettante. Chez beaucoup, il n’y a plus de vitalité spirituelle forte.

Donc s’il n’y a pas un amour fort pour le Seigneur, on ne voit pas très bien en quoi on pêche, en quoi on choque le Seigneur, parce que la conscience du péché est très liée à l’amour. Quand j’aime quelqu’un, avec le moindre petit geste de la vie quotidienne, je sais si je vais blesser l’autre. Ou bien moi-même, je vais être blessé par de petites attitudes de l’autre que j’aime. Alors que quelqu’un qui serait dans la même pièce, qui verrait la même scène mais pour qui on est indifférent, lui il n’a rien vu. Il ne voit pas où est le problème. L’amour nous rend sensibles aux petits actes, aux petites paroles, aux petites attentions, aux délicatesses. Et donc moins on se confesse, moins on devient sensible aux petites indélicatesses de l’amour envers le Seigneur.

Or la vie religieuse, n’importe quelle religion mais surtout dans le judéo-christianisme, c’est « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force ». Cet amour-là, comme dans un jeu de miroirs, dévoile notre inconstance, y compris les péchés véniels, qui ne sont pas des péchés mignons – le péché n’est jamais mignon. C’est plein de petites scories qui blessent l’amour et pour lesquels on devrait demander pardon. Si on n’aime plus, on ne les voit même plus. Donc on n’a pas de raison d’aller se confesser. C’est triste, il n’y a pas d’amour pour Dieu. Il faut prendre les moyens de réveiller l’amour. Notre bonheur est là. »