L’âme de l’Europe, famille de peuples

A lire dans la revue diocésaine Chrétiens en Morbihan du 23 mai 2019.

Dans un contexte d’exacerbation des tensions entre les Etats européens, il convient de s’interroger sur les options temporelles et institutionnelles propices à la réalisation d’un véritable bien commun. Comment édifier une communauté de peuples fondée sur la dignité transcendante de la personne humaine et non pas centrée sur une logique de marché ? A quelques jours de glisser leur bulletin dans l’urne, et en l’absence d’un programme providentiel qui reprenne l’intégralité des principes fondamentaux de la conscience chrétienne, les catholiques de France  trouvent dans l’enseignement social de l’Église des balises éthiques pour discerner. 

Deux ans avant le referendum français sur la ratification du Traité de Rome II, saint Jean-Paul II évoquait l’« apostasie silencieuse » par laquelle la culture européenne faisait abstraction de l’apport du christianisme (exhortation apostolique post-synodale, 2003, Ecclesia in Europa n°9). À l’heure où l’unité européenne est en berne, il est urgent de « retrouver le terreau spirituel de l’Europe, l’âme européenne et l’héritage chrétien pour greffer les droits des peuples qui la composent sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme (Ecclesia in Europa n°7). Comment l’Europe peut rester unie et grandir sans cette matrice civilisationnelle et sans cet héritage spirituel ? L’influence de l’Evangile marque en effet l’histoire du continent européen et a été un « facteur primordial d’unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l’homme et de ses droits ». (Ecclesia in Europa n°108).

Mettre l’homme au centre et au cœur des institutions européennes

La dignité transcendante de la personne est le premier fondement de la vie économique, et politique, de la justice sociale et de la paix. (cf note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi, 2002).
Comme l’a rappelé le Pape François aux parlementaires européens en 2014, au centre du projet de construction européenne, « il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante ». C’est de ce lien vital entre « dignité » et «transcendante » que dépend l’avenir de l’Europe. Dans l’encyclique Laudato Si (2015), le saint Père formule les bases sur lesquelles doit reposer la maison commune européenne, en articulant les relations fondamentales de la personne : avec Dieu, avec lui-même, avec d’autres êtres humains et avec la création. « L’écologie environnementale, économique et sociale : tout est lié ».

En vue des élections, la Conférences des évêques de France invite à sortir du schéma manichéen Pour/contre l’Europe pour « dire quelle Europe nous voulons » (Communiqué du 25 mars 2019).

 Le Magistère reconnaît l’importance de la souveraineté nationale sans en faire un absolu. « Les nations peuvent renoncer librement à l’exercice de certains de leurs droits envue d’un objectif commun, avec la conscience de former une « famille » ». 

 Retrouver « l’esprit de famille » pour édifier la maison commune

Le 24 mars 2017, à l’occasion du 60ème anniversaire de la signature du Traité de Rome, le Pape François rappelait qu’« affirmer la centralité de l’homme signifie aussi retrouver l’esprit de famille, dans lequel chacun contribue librement selon ses propres capacités et talents à l’édification de la maison commune. Il est opportun de se souvenir que l’Europe est une famille de peuples ( …). Les particularités ne doivent donc pas effrayer, et on ne peut penser que l’unité soit préservée par l’uniformité. (…) Aujourd’hui, l’Union Européenne a besoin de redécouvrir le sens d’être avant tout une « communauté» de personnes et de peuples conscients que « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ». A partir de cette conscience, il propose aux peuples européens d’élargir le regard pour un bien plus grand.

Sur ce point, les évêques polonais ont livré une contribution pertinente (14 mars 2017) à partir de l’expérience polonaise et dans une perspective chrétienne. Ils placent le curseur entre patriotisme et universalité : l’amour de la patrice terrestre est une forme concrète de l’ordre universel voulu par Dieu. Comment ce patriotisme peut-il féconder la « maison commune » européenne ? 

Voir la déclaration de la COMECE en vue des élections du 14 février 2019 : « Reconstruire la communauté en Europe ».
Voir aussi le communiqué de la CEF, du 25 mars 2019.

Economie, monnaie, environnement, agriculture, migrations, … Sur les enjeux saillants des élections des eurodéputés, la doctrine sociale peut guider les consciences : quels choix entrent en contradiction avec les principes fondamentaux devant inspirer l’engagement social et politique des catholiques dans les sociétés démocratiques ? 
De l’affirmation du caractère central de la personne humaine, premier fondement de la vie économique et politique, découle un ensemble de principes : bien commun, développement intégral, justice sociale, paix, destination universelle des biens, amour préférentiel pour les pauvres, droit primordial à la vie, de sa conception à sa fin naturelle, la famille fondée sur le mariage homme-femme, la dignité du travail, subsidiarité, solidarité, …

Voir : Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise

Alors que le jubilé diocésain se clôturera à la Pentecôte par un envoi en mission, saint Vincent Ferrier intercède. Artisan d’unité dans une Europe déchirée, il a évangélisé les peuples européens (Lettre pastorale de Monseigneur Centène du 29 septembre 2018). L’influence de l’Évangile marque l’histoire du continent européen et a été un « facteur primordial d’unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l’homme et de ses droits » (Ecclesia in Europa n°108). L’Europe ne peut esquiver ce passé si elle veut retrouver le sens de son action et la direction de son avenir, comme l’y invite le Pape François.

« Ô vieille Europe, je te lance un cri plein d’amour (…) Renouvelle la vigueur de tes racines, revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents. Reconstruis ton unité spirituelle ». 

Saint Jean-Paul II, Acte européen, Saint-Jacques de Compostelle, 1982

E ultreïa ? Points de vue.

Manifeste « Votez pour la famille » :
Faire entendre la voix des familles en Europe

Voir le manifeste

A travers ce manifeste, la Fédération des Associations Familiales catholiques en Europe (FAFCE) appelle les candidats aux Parlement européen à reconnaître le rôle primordial de la famille, pierre d’angle de la société. Elle leur propose de s’engager sur dix points concrets inspirés de la doctrine sociale de l’Eglise. Frantz Toussaint, responsable du chantier socio-politique des AFC du Morbihan, en expose les enjeux.

En quoi la famille est-elle « cellule de base de la société » ?
Dans une perspective anthropologique telle que la propose l’Eglise, la famille s’appuie sur la dignité de la personne humaine et la complémentarité homme/femme.
Elle est le premier lieu de civilisation, de sociabilisation pour les enfants. Vecteur de  stabilité dans la société, elle est aussi le lieu des solidarités, intergénérationnelle et au sein d’une même génération. La famille, c’est aussi par essence la natalité. 
On ne peut pas dissocier aujourd’hui la famille du reste de la société. Dans son encyclique Laudato Si, le Pape François démontre que tout est lié : quand on détricote un petit pan sur la famille, on détricote toute la société.
L’enjeu de ce manifeste est de faire prendre conscience aux candidats de l’importance de la famille. Des lois sociétales qui visent soi-disant à donner une égalité – somme toute relative – à différents groupes de pression, détricotent, déstructurent la société. Nous devons faire entendre la voix des familles aujourd’hui. 

Aujourd’hui, si on voulait revenir à quelque chose de plus conforme à la vision portée par l’Eglise, il est absolument nécessaire de se reposer les questions fondamentales : que cherchons-nous à travers l’Europe ? Quel modèle : une Europe complètement fédérale ou une Europe qui respecte les cultures, les identités, tout en étant une plate-forme de coopération économique ?


Marie-Hélène Herry, maire de Saint-Malo de Beignon, conseillère départementale, vice-présidente du « Mouvement européen » (association apolitique, d’esprit fédéraliste).

Sur le plan humain qui nous anime nous chrétiens, l’Europe est une chance car nous avons en commun ces racines chrétiennes. Je fais partie de ceux qui se « lamentent » de l’échec de la constitution européenne en 2005. Pour autant, j’ai voté « non » car  il n’y avait pas mention de ces racines. Or, je pense qu’il est primordial pour construire un avenir de savoir d’où l’on vient. Il faut remettre ça sur le devant de la scène, et que l’Europe l’affirme. 

Quels principes porter ? Quelle Europe souhaitons-nous dans ce monde mondialisé où de nombreuses valeurs profondément humaine sont chahutées, où le poids de la finance et la puissance de certaines entreprises sont énormes ?

Pour moi, la famille est la base de tout, c’est une mini-société : on y apprend la solidarité et ce qu’est le bien commun qui doit guider les peuples et les dirigeants. Une famille qui va bien, c’est une société qui va bien. Or les familles sont chahutées aujourd’hui.
L’uniformisation n’est pas la solution. On a aujourd’hui l’impression qu’il faut que tout soit uniforme pour que tout soit juste. Mais parfois l’égalité n’est pas justice.

Dans le domaine social, des avancées au niveau européen sont souhaitables pour la France : le travail doit être plus reconnu et mieux valorisé. 

Que chacun se saisisse des enjeux européens et aille voter !


Père Bernard Bourdin, op, professeur d’histoire des idées de philosophie politique à l’Institut catholique de Paris

Quels critères de discernement peuvent être proposés en vue du prochain scrutin ? 
Dans le débat Europe des nations/Europe fédérale, je pense qu’il y a un critère de réflexion théologique : Dieu s’est incarné dans un peuple et un temps particulier. Il n’y a pas d’universel « direct » ; ce qui conduit à une vision de l’Europe qui ne soit pas une abstraction universaliste.
Pour ma part, le tropisme fédéraliste qui vise à faire de l’Europe des Etats-Unis version européenne n’est pas cohérent avec ce critère. Il ne peut entraîner qu’une négation des nations, autrement dit ce qui fait le socle de l’Europe, le socle de ces incarnations particulières.
Le christianisme a façonné la civilisation européenne au travers aussi de ces nations. Le christianisme était une matrice d’un certain type d’universel qui ne nie pas les particularités car il est travaillé par sa logique de l’incarnation. Et l’Europe telle qu’elle veut se construire depuis un certain nombre d’années tourne le dos à cette vision des choses, qui n’est pas une idéologie universaliste mais l’incarnation à partir de laquelle il y a de l’universel.

Comment construire une Europe qui soit à la fois du particulier et de l’universel ? La crise migratoire pose exactement la question.
En ce qui me concerne, je plaide pour une confédération, qui permette un étage supérieur des peuples européens, qu’ils sachent se parler et coopérer ensemble comme des voisins qui partageons une civilisation commune mais qui laisse en même temps à chaque état une large part de manoeuvre pour continuer d’exister comme Etat-nation.

Il convient d’ajouter un critère de discernement pratique : comment sommes-nous capables de nous aimer les uns les autres ? La réalisation du bien commun suppose l’ouverture à la transcendance, ce dont manque la vie collective aujourd’hui, parce qu’ellen’a plus de socle : l’individu n’est renvoyé qu’à lui-même et à ses droits. Il ne voit pas qu’il pourrait vivre mieux en faisant du commun, en se donnant la possibilité d’une communauté de destin, de dignité.
Nous avons un témoignage à apporter de civisme chrétien, en vertu même de la foi en Celui qui leur a enseigné ce qu’est l’amour du prochain. Nous nous aimons les uns les autres parce que lui le premier nous a aimés. Ça a l’air fondamentalement  inter-personnel mais ça a un impact publique, politique très fort.