Quand le légat du pape devient légat du Christ

Benoît XIII temporisa et Vincent lui obéit. Comprenant que son absence risquait de fragiliser la Cour d’Avignon, le Pape pensa pouvoir le garder auprès de lui de façon définitive en le créant cardinal. Vincent refusa par fidélité à la mission que le Christ lui-même lui avait confiée : être prédicateur pour le monde. Voyant que tous ses efforts pour le garder à Avignon sont vains, le Pape le nomme alors Légat « a latere Christi » envoyé par le Christ, et lui donne les pouvoirs nécessaires pour aller prêcher partout.

Le 22 novembre 1399, le père Vincent Ferrier, âgé de 49 ans, quitte la cité papale d’Avignon et commence sa nouvelle mission. Le XIVe siècle se termine, le XVe commence. L’Europe déchirée par le schisme souffre de la décadence de l’autorité ecclésiastique, la Guerre de Cent Ans se pour- suit, la faim et les épidémies ravagent les populations, l’ignorance donne le champ libre à toutes sortes de superstitions et de doctrines extravagantes. C’est dans cette atmosphère de fin des temps que Vincent Ferrier commence sa mission évangélisatrice.

Cette dernière étape de sa vie durera vingt ans et le conduira sur tous les chemins et chez tous les peuples européens. Pendant plusieurs années il parcourt la Provence, les Alpes, le Dauphiné ; il prêche à Carpentras, à Cavaillon, à Apt, en Savoie. Il est difficile de le suivre avec exactitude dans ses pérégrinations. En 1400 il prêche l’Avent et la fête de Noël à Marseille. Il retourne en Lombardie, en Suisse. Ses pas le ramènent en Espagne : il prêche à Grenade, à Séville, à Guadalajara, parfois devant des auditoires musulmans. À Grenade, il en aurait converti huit mille au cours d’un seul sermon, qui sur le champ demandèrent le baptême, à tel point que le roi Maure qui l’avait autorisé à prêcher est menacé de mort par le reste de ses sujets.

Il parcourt l’Andalousie, prêche à Séville, à Cordoue, à Burgos, il parcourt le Pays Basque, regagne la Catalogne, il est à Collioure en 1408, remonte vers Montpellier, Fabrègues, Nîmes puis redescend vers les Pyrénées qu’il traverse une nouvelle fois pour une nouvelle tournée de prédication en Espagne. En 1410, il est de nouveau dans sa région natale, il se repose quelques jours chez sa sœur à Teulada et fonde, à Valence, un orphelinat qui existe encore.

Qu’est-ce qui dicte l’itinéraire de saint Vincent Ferrier ? L’urgence de la mission et la volonté de répondre à tous ceux qui l’appellent. Le 17 novembre 1403, il écrit au maître général des dominicains pour rendre compte de sa mission : dans cette lettre où il affirme qu’il prêche deux ou trois fois par jour, il déplore que la contrée qu’il est en train de visiter n’ait pas reçu de prédicateur depuis plus de trente ans ; il met en cause ceux qui préfèrent rester dans les grandes villes ou dans leurs couvents plutôt que d’aller à la recherche de la brebis perdue alors que les « âmes se perdent par manque de pasteurs spirituels »(9). Il ne refuse jamais sa présence et se rend disponible à tous ceux qui l’appellent, même s’ils semblent n’agir que par convenance personnelle ou par intérêt politique. C’est ainsi qu’il se rendra à Caspe, à cent kilomètres de Saragosse, pour porter remède au conflit qui opposait les prétendants à la couronne d’Aragon après la mort sans descendance du roi Martin Ier. C’est ainsi qu’il répondra, aussi, à l’invitation du duc de Bretagne, soucieux d’asseoir la légitimité de sa dynastie et de voir renforcée la position de neutralité qu’il a adoptée face au conflit franco-britannique.

Après avoir participé à l’importante réunion de Caspe, qui met fin à  deux ans de conflits entre les divers prétendants à la couronne d’Aragon et qui commence à poser les bases de l’unité des Espagnes, Vincent Ferrier remonte lentement vers la France. En 1413 il prêche son dernier Carême à Valence et son périple se poursuit avec de singuliers crochets : de Barcelone il passe à Palma de Majorque ; en 1415 il prêche dans la région de Tarragone.

(9) Thème de « l’Église en sortie » cher au pape François.