Saint Philippe Néri, le saint de la joie

Philippe Néri, le saint de la prière, de la joie… et du bon sens*

(article paru dans Chrétiens en Morbihan N°1463 du 13 juillet 2017)

 

Le père Jean-François Audrain a soutenu sa thèse de théologie, le 14 juin dernier. Son sujet : « Philippe Néri, prêtre dans l’Esprit saint et le feu », sous-titré : « La charité comme sainteté baptismale et pastorale », n’est pas une recherche intellectuelle sur le grand saint, mais une réflexion sur le cœur de son message et ses implications pastorales. Jean-François Audrain pose la question : «  qu’est-ce qu’un saint prêtre ? » et trouve les réponses dans la vie du saint de la joie. Avec deux autres prêtres et un laïc, il va fonder dès la rentrée, à Pontivy, une fraternité Saint-Philippe-Néri. Explications.

Pourquoi une thèse sur saint Philippe Néri ?

En 2013, j’ai été nommé, à Rome, formateur au séminaire pontifical français pour trois ans. J’avais du temps pour faire une thèse et un sujet me tenait à coeur : la formation des prêtres. J’avais aussi en tête la figure de saint Philippe Néri que j’aime beaucoup. En effet, depuis des années, se pose à moi la question de la sainteté du prêtre, non recherchée pour elle-même, mais dans le rapport entre le message et le messager. Le message, c’est le mystère du salut, le mystère pascal. En Jésus, il y a identité entre le message et le messager : Jésus est ce qu’il annonce. À sa suite, tout
chrétien, et particulièrement le prêtre, par sa mission propre, aspire à cette identification entre le message et le messager, pour être un témoin authentique de la Bonne nouvelle. Mais dans l’imaginaire commun, le saint prêtre est sérieux voire tristounet (et c’est vrai que, parfois, le prêtre peut prendre un air austère pour prêcher cette Bonne nouvelle). Or, si le message est vie et joie, paix et communion, on doit en retrouver les effets dans les paroles, mais aussi dans l’être et dans le style de vie du messager. Philippe Néri est un prêtre qui incarne cette identification entre le message et le messager. Il est le « prophète de la joie chrétienne » (Jean-Paul II). Il évangélise par l’amitié et la joie. Pour lui, tout ce qu’on vit de beau, de bon peut concourir à la gloire de Dieu, à la sanctification.

Pourtant, on oppose souvent les choses de la terre et celles du ciel ?

Je n’ai jamais compris cette opposition. Comme aumônier des jeunes, j’ai entraîné des groupes, sans doute plus attirés par le ski, le vélo, la guitare et l’enthousiasme que par mes prédications. Mais Dieu se donnait dans la vie et la vie témoignait pour Dieu. Tous me suivaient d’autant plus volontiers à la messe qu’ils avaient partagé les mêmes efforts, les mêmes jeux, les mêmes aventures. Comment être dans le monde sans être du monde, c’est toute la problématique du rapport à la vie et aux joies de ce monde. Philippe Néri y répond par une spiritualité de l’assomption : la grâce ne prive pas la nature mais l’élève, on devient saint par la réalité du monde. Si Dieu s’est fait homme, rien d’humain ne lui est étranger, excepté le péché, et tout peut être un chemin pour passer du visible à l’invisible. Toutes les beautés, toutes les joies, toutes les amitiés d’ici-bas peuvent être, moyennant la croix du Christ, les prémices du royaume de Dieu, tout proche.

Comment être un saint prêtre ? Philippe répond qu’il faut d’abord être un « bon homme », c’est-à-dire un homme qui lit, qui s’interroge, qui cultive son humanité, mais qui a aussi renoncé à son « moi » tout puissant, et ne cherche plus à paraître, à plaire. Il met ainsi en oeuvre un humanisme chrétien, non par des théories, mais par sa vie toute entière.

Comment les prêtres peuvent-ils porter joyeusement cet humanisme chrétien alors qu’ils sont surchargés et souvent seuls dans leur ministère ?

Il y a un écart entre la vie au séminaire et la vie de prêtre. Le séminaire donne une place importante à la prière personnelle et à la belle liturgie, notamment par le chant de la Liturgie des heures. Il insiste sur la vie communautaire, le travail intellectuel, le sport, autant d’aspects qui semblent s’évaporer lorsque le jeune prêtre entre en contact avec ce qu’on appelle parfois (à mon avis à tort), la « réalité ». Comment trouver des moyens concrets pour avoir une certaine continuité entre les principes mis en place au grand séminaire et la vie des prêtres ? Il y a une vingtaine d’années, en lien
avec l’évêque de Toulon où je me trouvais à l’époque, nous avons cherché une forme de vie qui respecte davantage cette cohérence. Après plusieurs années, ce cheminement nous a rapprochés de l’Oratoire de saint Philippe Néri. C’est une vie communautaire, très originale pour l’époque, dans laquelle chacun vit sa grâce propre, au service de tous, avec un lien commun : la charité.

Comment fonctionnent aujourd’hui les fraternités Saint-Philippe-Néri ?

Elles font vivre ensemble des prêtres séculiers, éventuellement des laïcs hommes. Chaque communauté est une petite maison, une congrégation en elle-même. Saint Philippe Néri ne voulait pas de
lourdeur. Chaque maison s’adapte, épouse un lieu. Un statut particulier est créé en fonction de la culture et de la géographie locale. Une fois installé dans une maison, on y reste, comme dans une famille. Les fraternités Saint-Philippe-Néri ne sont pas très connues en France. Il en existe trois à Nancy, Dijon et Hyères à la fondation de laquelle j’ai participé. Pour fonder une fraternité, il faut être au moins quatre, dont trois prêtres. Si les membres sont trop nombreux, au-delà de dix à douze, on fonde ailleurs. La fraternité est d’abord reconnue par l’évêque, puis directement par le pape, après un temps de probation de plusieurs années. Il n’y a pas de spiritualité « philippine »(1) à proprement parler : Philippe est unique, on ne peut l’imiter. Mails il y a un vrai style de vie philippin qui permet à des gens différents de vivre ensemble. Nous sommes reliés à lui par le lien de la charité, par l’humilité et la joie.

(1)On confond souvent les fraternités Saint-Philippe-Néri avec l’Oratoire de France, fondé par le Cardinal de Bérulle, composé également de prêtres séculiers. Les oratoires sont en réseau et centralisés avec une spiritualité précise : « L’école français de spiritualité ».

*Parole du pape François au père Audrain lors d’une messe privée à Sainte-Marthe, 18 janvier 2016.

Philippe nait à Florence en 1515, dans une famille qui lui donne les bases essentielles de sa vie d’homme et de chrétien. Il fréquente les nombreux couvents de sa ville natale, spécialement celui des dominicains, et tire profit de la culture humaniste et de l’esprit démocratique de Florence, ainsi que de son sens inné pour les facéties. Il est attiré par les figures de Fra Angelico et de Jérome Savanarole. À 17 ans, les drames du temps l’obligent à s’exiler. En rejoignant San Germano où vit son oncle Romolo, un riche marchand, Philippe s’arrête au prieuré de Gaète où il est saisi par l’amour du Christ. Il laisse tout pour Le suivre et recherche sa vocation et la volonté de Dieu sur lui. Il vivra tout, désormais, « d’en haut », à partir du ciel, et non plus d’une manière simplement humaine. Il arrive ainsi à Rome dont il ne s’éloignera plus. Il partage ses dix premières années entre son travail de précepteur, la rencontre des jeunes dans les rue de Rome et de longs moments de solitude pour se recueillir dans les églises ou les catacombes de saint Sébastien. À 29 ans, se trouvant encore trop tiède dans sa marche à la suite du Christ, il fait une neuvaine pour demander la ferveur. La suite : une effusion de l’Esprit Saint extraordinaire qui laissera des traces physiques comme une excroissance du coeur, des tremblements et une intense chaleur corporelle, mais surtout une grande ferveur qui ne le quittera plus.

À partir de cette Pentecôte 1544, la vie de Philippe prend un nouvel élan. Elle est marquée par une ardeur renouvelée, avec des dons charismatiques abondants et une emprise de l’Esprit Saint plus intense qui, bien souvent, le feront passer pour fou. Sans perdre sa joie et son bon sens, son caractère un peu marginal va s’ordonner pour le service et la mission. Il est ordonné prêtre à 36 ans. Tous ses grands fils spirituels deviendront papes ou cardinaux. Le cardinal Newman, prêtre oratorien résume bien la méthode du grand saint : « Le coeur parle au coeur ». Son infatigable engagement missionnaire pastoral et missionnaire, sa joie constante, sont sous-tendus par une vie de prière intense. Il meurt en 1595. Philippe a été l’un des acteurs majeurs de la Réforme catholique du XVIe siècle. Il est l’un des apôtres de Rome, avec saint Pierre et saint Paul.