Des fins dernières au service du prochain

L’enseignement du Christ sur les fins dernières culmine dans la finale du vingt-cinquième chapitre de l’évangile de saint Matthieu (77), où le Juge loue ceux qui se sont engagés en faveur « du plus petit d’entre ses frères », tandis qu’il blâme ceux qui ne l’ont pas fait. Il place à sa droite les premiers, leur donnant en héritage le Royaume pré- paré pour eux depuis la fondation du monde, tandis qu’il place à sa gauche les seconds avant de les envoyer dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges ; car le Christ s’identifie au plus fragile, au plus faible comme pour nous dire que la fragilité est au cœur de l’humanité qu’il a voulu assumer.

La fragilité, c’est l’aptitude à se  briser  facilement ;  c’est  l’instabilité, la précarité. La Bible utilise plusieurs images pour nous parler de cette fragilité de l’homme. L’homme est tiré de la terre. Après le péché originel, il s’entend dire qu’il est poussière et qu’il retournera à la poussière (78). Pour  le prophète Isaïe, «  toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs. L’herbe se dessèche et la fleur se fane quand passe sur elle le  souffle du Seigneur (79) ». Nous trouvons les mêmes images chez le psalmiste (80) ainsi que chez l’apôtre Pierre (81), et pour Paul, l’homme est un vase d’argile (82). Dans un monde où il faut être compétent et avoir du succès, où la valeur de l’homme se mesure à sa capacité à produire et à consommer, à sa force, à sa richesse, l’Écriture nous rappelle que la fragilité est le dénominateur commun de tous les hommes et le Christ nous dit que la vulnérabilité est au cœur de la dignité de l’homme, sa marque de fabrique, son fondement. Dès lors, secourir ceux qui sont dans la détresse est un acte de fraternité.

Saint Vincent Ferrier a soulagé les misères qu’il rencontrait par les miracles qu’il accomplissait mais aussi par les œuvres sociales qu’il a fondées, notamment l’orphelinat dont on dit à Valence qu’il est le plus grand de ses miracles (83). En 1410, saint Vincent Ferrier est appelé à Valence pour dirimer un conflit entre deux puissantes familles féodales : les Centelles et les Vilaragut ; l’opposition entre les deux familles et les partisans de chacune d’entre elles dure depuis plusieurs années et a fait des centaines de morts. Ce qui frappe le plus Maître Vincent, c’est la misère des orphelins générés par ce conflit : une multitude d’enfants désemparés qui errent dans les rues de la ville en mendiant leur pain, proies faciles pour tous les trafics. C’est pour leur venir en aide qu’il fonde le premier orphelinat d’Europe. L’institution existe toujours. Depuis 1410 elle a accueilli quelques trente mille garçons et filles, et compte aujourd’hui encore plus de cent pensionnaires. En 1416 à Perpignan, il constate que la situation des prisonniers est épouvantable et que les condamnés à mort sont souvent massacrés par la foule avant même de pouvoir arriver sur le lieu prévu pour leur exécution. Il fonde alors une confrérie pour assister les prisonniers et accompagner les condamnés sur le lieu du supplice. Les membres de cette confrérie passeront la dernière nuit avec eux et les escorteront, revêtus de la même robe, le visage recouvert de la même cagoule, si bien que jusqu’au moment de l’exécution, personne ne pourra identifier le condamné au milieu de ceux qui l’accompagnent. Chaque Vendredi Saint, la confrérie accompagnait en procession le plus illustre des condamnés à mort sur son chemin de Croix jusqu’au Calvaire. Comme l’orphelinat de Valence, cette confrérie existe toujours. Ses membres se vouent à des œuvres caritatives, notamment la visite des prisonniers, et ils maintiennent chaque année la procession du Vendredi Saint qui rappelle les origines et le but de leur fondation.

Si à la différence de saint Vincent Ferrier nous n’avons pas le don d’accomplir des miracles, nous pouvons du moins, par une charité active, venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.

Sous l’impulsion de la Diaconie diocésaine, nous sommes tous invités      à faire en sorte que les personnes marquées par de grandes précarités puissent trouver leur place dans nos communautés. L’attention aux frères et sœurs en souffrance est un élément essentiel de la pastorale. Les plus pauvres n’ont pas seulement des besoins matériels, ils ont aussi des besoins spirituels : la plus grande des pauvretés est de ne pas connaître le Christ. C’est ce que développe Aymeric de Hedouville dans son livre Science et foi catholique – Synthèses et réflexions : « Sans Dieu, la nature et la valeur de l’homme sont rabaissées. Les valeurs morales et l’éthique sont relatives et fragiles. Sans Dieu le Père, les hommes ne sont plus frères et la fraternité, l’altruisme et le sens de l’intérêt général et supérieur, cèdent plus facilement le pas à l’individualisme et l’intérêt particulier exclusif. La première victime d’un monde sans Dieu, c’est l’homme (84)». Les différents acteurs de la solidarité sont ainsi appelés à unir leurs efforts, à se stimuler mutuellement et à s’enrichir réciproquement de leurs expériences respectives, les communautés chrétiennes à être attentives à la vie fraternelle. L’exercice de la charité n’est pas réservé à des mouvements spécialisés sur lesquels nous pourrions nous décharger de notre responsabilité. C’est toute l’Église qui est servante et chaque chrétien qui doit être attentif aux autres pour vivre une charité de proximité.